Roses de décembre à Mayence

J’ai pris connaissance de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg du 11 décembre 2018 alors que je naviguais sur le Rhin, à hauteur de Rüdesheim, en direction de Mayence.

J’animais sur un bateau de CroisiEurope des croisières de Noël, pour un public venu de toutes les régions de France, de Suisse et de Belgique.

Roses de Mayence face au Rhin photographiées le 12 décembre 2018 © S. Morgenthaler

Alors que je faisais découvrir aux croisiéristes la beauté des Noëls alémaniques, des chants, des rites liés à cette fête, je dus soudain affronter cette réalité : le marché de Noël venait de subir l’attaque d’un terroriste, d’un jeune qui aurait pu faire de sa vie une quête digne et bienveillante, et qui avait préféré la remplir de violences, de vols et de larcins pour lesquels il avait été condamné 27 fois en 28 ans.

Pour, en finalité semer la panique en tuant, persuadé que ses élans mortifères serviraient la cause d’un Dieu.

A distance, les évènements secouent encore plus.

Je n’ai pas dormi. La télévision est restée allumée une partie de la nuit.  Au matin, nous avons accosté à Mayence.

Comment laver cette impression de salissures qui me remplissait l’esprit ?

J’ai quitté le bateau, longé le Rhin (qui, à Mayence, vit avec la ville) et j’ai vu ces roses. Tout un parterre de roses rouges face au Rhin, de roses qui fleurissaient encore un 12 décembre.

Dans les moments où je doute le plus de l’humanité, la poésie me tend souvent une main amie. Je tenais mon « petit rien somptueux » avec des roses couleur sang qui fleurissaient devant ce Rhin qui a vu couler tant de sang, qui fut ici maîtrisé et réduit : au 18e siècle encore il s’aventurait en largeur dans la ville sur une centaine de mètres de plus, allant presque inonder les marches de la cathédrale romane de couleur rose, le célèbre « Dom ».

J’étais ici dans une ville qui fut le centre du Saint Empire Romain Germanique, dont l’Alsace a fait partie pendant 8 siècles et en fut un pôle important. J’ai découvert cette ville francophone, au passé riche, connu pour ses électeurs palatins, de religion catholique, qui avaient tout pouvoir. Et c’est là que les premières bibles, écrites en latin, furent imprimées par Gutenberg qui a inventé les caractères métalliques mobiles, une invention déterminante dans la diffusion des textes et du savoir et qui fut un événement majeur de la Renaissance. Gutenberg nous a fait entrer dans la modernité.

Je découvrais au Musée Gutenberg la beauté des premiers exemplaires de la Bible pour laquelle des moines copistes avaient travaillé durant trois ans pour finir un exemplaire, que Gutenberg, inspiré par le travail des viticulteurs, a imprimé grâce à l’invention d’une presse totalement inspirée d’une presse à vin. Je découvrais que pour une bible, il fallait une masse de peaux animales, celles de tout un troupeau de chèvres ou de moutons.

Et aujourd’hui en décembre 2018, l’Alsace devait pactiser avec la haine d’un terroriste, petite frappe dont les infos m’apprennent qu’il est un « Alsacien », un enfant de la République. J’ai pensé, le croirez-vous, au chagrin que peut éprouver une mère en faisant ce constat d’échec : avoir mis sur terre un être si négatif,  l’avoir sans doute aimé en dépit de la violence qui le portait. Lorsqu’on met en enfant au monde, on espère le meilleur de lui et pour lui. Et, me disais-je en regardant ces roses de décembre, cela doit être douloureux de voir que l’on a enfanté un enfant si peu fructueux.

Que d’entrechoquements dans mon cerveau ! Que d’entremêlements d’une Histoire si fournie dans cette ville de Mainz, joyeuse, francophile, estudiantine, siège de la deuxième chaîne de la télévision publique allemande, la ZDF (Zweites Deutsches Fernsehen).

Cela avait de quoi me donner le vertige, et aussi la nausée lorsque je repensais à Strasbourg, à l’Alsace qui pleurait ses morts et ses blessés. C’était si bouleversant d’apprendre que dans ces lieux que je longe à vélo quotidiennement, cette rue des Orfèvres, celle des Grandes Arcades, cette rue Sainte Hélène, des êtres bons étaient tombés sous les balles et les coups de couteaux.

J’apprenais aussi qu’une des victimes en mort cérébrale, Bartek, avait été scolarisé avec ma fille au Lycée international des Pontonniers à Strasbourg. Ce garçon, mort entretemps, était chroniqueur radio, danseur, chanteur et dessinateur. Européen convaincu, il faisait l’unanimité avec sa capacité à fédérer et à enthousiasmer.

A quoi se raccrocher lorsque tant de pages belles s’entremêlent avec celle, hideuse entre toutes, du terrorisme ?

J’ai fixé éperdument les roses qui fleurissaient face au Rhin et que le gel n’avaient pas emportées.

Ce jour avait un goût d’amertume.

Demain un autre se lèvera.

Chaque matin est une renaissance.

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