Série « Laendeltreppler »

Documentaires sur des régions d’Alsace
(1989 à 1991)

Au début de l’année 1989, Georges Traband, directeur de France 3 Alsace, m’annonça qu’il me confierait une série qui ferait découvrir des régions d’Alsace, avec leurs paysages, leurs rites, leur culture, leurs hommes. La série était prévue pour une diffusion le dimanche soir, dans les créneaux de décrochage mensuel, de 20h30 à 22h. Cela représentait un créneau, une longueur d’émission et un défi que je n’avais pas encore eu à relever.

De tels créneaux de diffusion en prime time, le dimanche soir, sont totalement impensables aujourd’hui car, au fil des années, les parts accordées à la diffusion d’émissions dialectales se sont réduites en peau de chagrin.

– Vous avez une idée de titre pour cette série ?, me demanda Georges Traband.
Laendeltreppler, ai-je proposé.

Le mot suggère à la fois le marcheur qui arpente la terre, mais il désigne aussi des chaussures de marches robustes, aux larges semelles.

La première émission fut consacrée au Sundgau. J’avais eu quelques fois l’occasion d’aller dans cette partie méridionale de l’Alsace mais, pour bien maîtriser le sujet, il me fallait y passer du temps pour rencontrer des hommes et des femmes et pour me familiariser avec ses paysages.

Je cherchais une personne qui pourrait me servir de guide, qui m’indiquerait des personnes intéressantes sortant des sentiers battus. J’en parlais à Anne Muller, amie et collègue de la radio régionale qui m’annonça: « J’ai ton homme, c’est Guschti ».

En ce temps-là, Guschti Vonville était entièrement rivé au théâtre, aussi bien à la mise en scène qu’au jeu. Pendant quatre jours nous avons sillonné le Sundgau en tous sens. Il me fit découvrir des personnes que je n’aurais pas trouvées car son réseau de connaissance était impressionnant.

Ensuite intervint la phase de tournage des reportages et d’un documentaire de 26 minutes pour lequel Louis Walter, peintre de Dannemarie, fut le fil conducteur avec son petit-fils Olivier. Pour l’enregistrement de l’émission de 1h30 qui serait diffusée le dimanche soir, nous avions décidé de choisir comme lieu la grange de Bendorf, connue dans les années pour ses expériences théâtrales originales et porteuses de succès.

La « grange » avait vu le jour après les stages de théâtre qu’André Leroy organisait au château du Morimont. Cinq pièces y furent jouées, entre autres «Soldat Schweyk», «Annala Balthazar» de Nathan Katz et, la dernière, le malade imaginaire (« d’r Ibeldungskrank ») de Molière en 1981.

La grange ne servait plus depuis une dizaine d’années. Il nous plaisait de la faire revivre pour cette émission Laendeltreppler.

Guschti se chargea de la faire nettoyer et la remettre en état pour l’enregistrement de cette première émission. Cette initiative plut au chargé de production, Robert Blosser, qui se pliait en quatre pour que l’émission soit une réussite. Elle bénéficiait des moyens techniques de la vidéo mobile, l’ancêtre du grand car numérique.

Nous nous sommes installés pendant deux jours dans cette grange, avec chanteurs, musiciens, danseurs, comédiens, invités. Sans oublier l’équipe technique : Jean Friedt, Jean-Marie Loillier et Robert Benoit au son. Jean-Jacques Maurer en était le script. Jean-Paul Grass, Robert Burg et Jean Pylypiw était à la caméra. Ce dernier, amusant baroudeur, me racontait ses histoires rocambolesques vécus lors de tournages dans des pays en guerre. Certains jours il me faisait un véritable cours sur l’ AK-47 kalachnikov, d’autres jours sur le colt python calibre 357.

Je garde un souvenir très vif de cet enregistrement à Bendorf dans le Sundgau.

Bernard Antony, le maître fromager de Vieux-Ferrette, y a participé : il n’avait pas encore le succès d’aujourd’hui.

Et Guschti m’a fait rencontrer le taupier du golf de la Largue, un homme à la retraite qui réussissait à attraper sans coup férir les taupes qui défigurent les golfs avec les monticules de terre. Le taupier travaillait à visage découvert, et apparaissait ainsi dans le reportage mais il ne voulait toutefois pas que nous révélions son nom. Aussi le présentions-nous sous son prénom : Antoine.

Il y avait aussi Louis Schittly, filmé dans sa maison de Bernwiller. Je me souviens d’un plan séquence où cet homme si attachant s’exprimait avec son bel accent guttural sur l’appauvrissement du Sundgau, pourri par l’argent suisse, tandis que son fils Jean-Baptiste, petit gamin, grimpait sur le poêle en faïence et faisait toutes sortes de contorsions amusantes. Parmi les invités figuraient aussi le glacier Tony Hartmann, le travailleur transfrontalier André Zundel, le faïencier poêlier Pierre Spenlehauer (qui deviendra plus tard animateur à l’Ecomusée d’Ungersheim), sans oublier l’instituteur Louis Fritsch, tout comme le journaliste responsable de l’agende des DNA à Altkirch François Dangel et le cabarettiste et poète Tony Troxler.

La partie divertissement avait été assurée par les Burgdeifela d’Illfurth, le trio à cordes Philippe Berne, l’orchestre de guitare du Sundgau dirigé par Jacky Hengy de Ligsdorf et le groupe Sundgauergruess pour les danses folkloriques. Le documentaire fut diffusé le samedi 24 juin 1989 et l’émission Laendeltreppler le lendemain soir à 20h55 dans le cadre du Grosse elsaesser Owe. Le lendemain, Georges Traband me téléphona pour me dire que l’émission avait correspondu à son attente et qu’il la reconduirait.

L’équipe qui m’accompagnait au printemps 1990 était composée, de gauche à droite, debout : Raymond Adam, Dany Sohn, Jean-Claude Durmeyer, Claude Girodon, Benoit Vetter, Henri Czap, Jean-Jacques Maurer, Carole Botton, Françoise Jardini, Cathy Huber. Rangée du bas, de gauche à droite, Jacqueline Pencréac’h, Marcel Arnoldy, Henri Baleydier, Michel Mathes et moi.

J’enchaînais dans la foulée d’autres émissions de ce type, en Alsace Bossue cette fois avec Lothaire Burg. Ce réalisateur d’un perfectionnisme légendaire, qui devint ensuite directeur artistique à la chaîne européenne Arte, a laissé sa signature sur de nombreuses émissions à France 3 Alsace, notamment Üss’m Schulersack, émission proposée et présentée par Eric Sold faite en co-production avec le rectorat.

La série me fit aller aussi bien dans le Bassin potassique, que dans les Vosges du Nord, dans la vallée de la Bruche, la vallée de Masevaux comme le long du Rhin.

Lorsque le décrochage mensuel dialectal du dimanche soir fut supprimé en 1990 (et il ne plus plus jamais récupéré), l’émission se transforma en documentaires de 26 minutes, réalisés en deux versions : française et alsacienne.

Lors du tournage de l’émission sur la Vallée de Munster, avec Gérard Leser, historien et écrivain. Dans les années 70, il avait créé avec Eugène Maegey (aujourd’hui directeur du Conservatoire de musique de Colmar) le duo « D’luschtiga Malker »em> qui excellait dans les chansons traditionnelles de la vallée.

Je n’eus plus l’occasion de collaborer avec Guschti. Mais il fut contacté quelques semaines après l’émission Laendeltreppeler im Sundgau par Christian Winterhalter, alors directeur des programmes de France 3 Alsace. Il souhaitait trouver un « pendant » à Christian Hahn pour le Haut-Rhin le mardi soir pour ‘s Rendez-vous alors diffusé après le journal télévisé à 19h25.

Ensuite Guschti collabora à l’émission de Christian Hahn et Eric Sold Es schlaat drizehn et enchaîna avec l’émission Télédisch qu’il co-animera avec Christian Hahn. Puis vint « Tempo» de 1994 à 1999.

A partir de 2002, Guschti participa au 12h-14h présenté par Lionel Augier en proposant des sujets « Trésors d’alsace » dans lesquels il faisait découvrir des lieux comme Murbach, Lucelle, ou des personnage ou des objets comme la météorite d’Ensisheim.

Guschti a aussi réalisé des documentaires sur des personnages qui lui tiennent à cœur : Tony Troxler (dont il avait mis en scène la pièce Mord im Dekt Kanal). Lorsque Tony est mort en automne 1998, Guschti était en pleines répétitions à la Filature de la pièce « Tony », qu’il avait créée pour son 80e anniversaire, mise en scène par Francis Haas avec une adaptation musicale de Daniel Muringer. Il réalisa dans la foulée un documentaire sur Tony et sur d’autres personnes comme le graveur Eugène Lacaque, Henri Fischer, décorateur de théâtre qui était à l’origine du Carnaval de Mulhouse, Helmut Lutz, l’artiste peintre transfrontalier qu’il suivit à Sarajevo. Le visage « baba cool » de Guschti fit partie du paysage audiovisuel jusqu’en 2003.

Guschti se consacra ensuite au théâtre et à son travail d’animateur culturel de la ville de Saint-Louis avant d’accompagner de toute son énergie les débuts du centre d’art Fernet-Branca de Saint-Louis. En 2014, il devint le directeur culturel de la prestigieuse Fondation d’art contemporain de François Schneider à Wattwiller.

Plus de précisions sur l’univers de la radio et de la télé sont à lire dans mon livre « Ces années-là… mes souvenirs radio-télé » La Nuée Bleue, 2004)

Les émissions évoquées sont conservées par l’INA

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