D’grien Schatt, L’ombre verte (ID l’Édition) est un texte d’amour pour l’Alsace et pour la nature. Confrontée à la disparition du noyer auprès duquel j’ai vécu pendant trois décennies, je décris dans ce livre mon attachement à la nature, et je l’ai associé à ma révolte contre la disparition de la langue alsacienne. Ce double sujet questionne l’Histoire de l’Alsace en résonance avec un arbre.
D’grien Schatt, L’ombre verte(ID L’Édition), extrait
Aucun des envahisseurs de l’Alsace, qu’ils furent Romains, Germains, Huns, Alamans, Francs, Hongrois, Armagnacs, Suédois, Pandours, Autrichiens, Prussiens, Allemands, n’a empêché le peuple alsacien de parler sa langue. Ce n’est que par le retour à la France en 1945 que le génocide linguistique fut entrepris, sous couvert d’une œuvre salutaire. Même Louis XIV ne s’était pas autorisé une telle mise au pas entre 1648 (par le traité de Westphalie qui concerne les possessions alsaciennes des Habsbourg) et 1697 (par le traité de Ryswick) lorsque l’Alsace revint au royaume de France – à l’exception de Mulhouse, alliée des Suisses depuis 1515. L’Alsace sortait alors de près de treize siècles d’existence dans un espace politique alémanique, celui du duché d’Alsace (Alesacius, des 7e- 8e siècles) d’abord, puis du Saint Empire romain germanique. Elle sera française pendant deux siècles avant de revenir vers un espace alémanique et devenir prussienne en 1871. Durant cette période sous domination française, elle put parler librement sa langue. Napoléon ne s’offusquait pas non plus du baragouinage de ses généraux alsaciens, Rapp, Walther, Kléber et Kellermann, l’essentiel pour lui étant qu’ils sabrent « français ». Les Prussiens ont laissé notre langue s’épanouir. Ils furent même ceux qui permirent à l’Alsace, pour une fois, d’avoir voix au chapitre en étant une région indépendante ayant sa représentation au Reichstag à Berlin.
La République a donc effectué un nettoyage qu’aucun envahisseur n’avait opéré jusque-là. Elle a fomenté ce plan fourbe, appliqué par les académies, les directeurs d’école, les enseignants : interdire la langue alsacienne, et punir tout élève qui dérogerait à cette règle, même en récréation. Il a fallu plus de vingt ans, le temps d’une génération avant que l’on constate l’absurdité de telles pratiques. Il a fallu que des intellectuels, des poètes, des enseignants, des économistes, prennent conscience de l’aberration d’une telle décision : l’Alsace perdait sa substance, sa culture, son aptitude à traverser la frontière pour travailler de l’autre côté du Rhin. On réalisa aussi que, si les enfants ne parlaient plus la langue de cette terre, cela signifiait que cette langue allait mourir. On voulut alors faire revenir les enfants vers l’apprentissage de l’alsacien. Mais vingt d’années d’interdit avaient fait main basse sur la langue. Une langue uniquement parlée par les parents ou les grands-parents, mais nullement pratiquée dans un bain de copains, et sans autre fonction, ne suscite pas l’envie. Une envie s’étiole vite s’il lui manque le désir. Quelle caresse peut ranimer durablement le désir si elle est artificielle ?
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