D’où je viens

Je suis journaliste et écrivain, animatrice de radio et de télévision française. Mon rayonnement se cantonne essentiellement à l’Alsace même si certains de mes livres ont paru en Allemagne, en Suisse et en Autriche.

Je suis née le 9 décembre 1952 à Saverne, une petite ville de 10000 habitants située dans la partie ouest de l’Alsace, à proximité de la Lorraine vers laquelle elle mène par le col de Saverne. J’ai grandi à Haegen, un village proche de Saverne blotti au pied du château du Haut-Barr. Le village est forestier et mes ancêtres ont tous travaillé le bois : comme schlitteurs puis comme bûcherons. Mon grand-père devint maître bûcheron et mon père sculpteur sur bois. A ma naissance il rêvait d’un garçon qui poursuivrait son artisanat. Ma destinée de fille devait être celle des autres filles du village: travailler à l’usine horlogère Vedette de Saverne (aujourd’hui disparue) dès 14 ans sitôt passé le Certificat d’études.

Je dois à l’instituteur, Marcel Neusch, d’avoir pu échapper à cette prédestination: il a su convaincre mon père de me permettre, comme il l’avait fait précédemment pour ma sœur, d’intégrer le lycée de Saverne. Je dois donc beaucoup à l‘école de la république qui m’accorda une bourse et me permit de faire des études universitaires.

Ma langue maternelle est l’alsacien, une langue ancienne, plus ancienne que l’allemande. Elle est transmise verbalement depuis le Moyen-Age. C’est une langue à laquelle je suis attachée et pour laquelle je me suis investie en mes émissions radio et télévisées, sans changer, en trente ans, ma trajectoire. Cette belle langue, imagée et riche mériterait toutes les protections, mais elle ne résiste pas à la volonté centralisatrice et à l’esprit jacobin du pouvoir français. Hors de Paris, point de salut : aujourd’hui comme hier, le pouvoir accordé aux régions n’est pas réel, du moins pas à la mesure de ce qu’il devrait être en matière décisionnaire, notamment en matière de culture.

J’ai découvert mes premiers mots de langue française à 6 ans avec l’institutrice, Mademoiselle Jérôme, qui appliquait la règle provenant du ministère, c’est-à-dire nous interdire de parler l’unique langue que nous connaissions : notre langue maternelle. La douleur infligée par cette aberration révoltante fait que je me sens plus que simplement française : je me sens avant tout Alsacienne, fière de ma double culture, pleinement consciente que je viens qu’un peuple qui appartint pendant plus de 800 ans à l’espace politique germanique avant d’être intégré au royaume de France en 1680, de devenir prussien en 1870 et, après cette date, de changer 4 fois de nationalités en 75 ans : un record européen ! Mon peuple mérite le respect, notamment pour son Histoire, riche et si bouleversante.

J’ai acquis le français avec aise, en quelques semaines de cours primaire. Il en fut de même à l’adolescence pour l’acquisition de l’allemand et de l’anglais. Il me plait d’être citoyenne européenne, de passer les frontières si aisément. Je revendique ma double culture : alémanique et française. J’en suis fière. J’ai écrit plus d’une vingtaine de livres en langue française, mais je continue à rêver en alsacien. Mon attachement à l’Alsace, à ceux d’ici, est non feint, et c’est sans doute pour cette raison que j’ai récolté de si fortes audiences pour mes séries télévisées et l’adoubement affectueux d’un lectorat pour mes ouvrages littéraires et gastronomiques.

Cette envie d’aimer cette terre et ceux qui l’habitent m’est essentielle.

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