Mamema, ma grand-mère maternelle

Voici, à gauche sur la photo, le visage de Mamema, ma grand-mère maternelle de Lochwiller, Marie-Barbe Staebler née Krantz, en 1892 et morte le 24 décembre 1973. A ses côtés se trouve sa soeur, Thérèse Runtz, de deux ans sa cadette, qui devint couturière et agricultrice à Maennolsheim. Elles avaient une vingtaine d’années lorsqu’elles ont posé pour le photographe savernois réputé, Aloyse Merckling.

Elles portent la coiffe en taffetas noir, d’Schlupfkàpp, qu’elles revêtaient uniquement le dimanche et lors des jours de fête. En semaine, àm Warti, elles portaient un fichu en coton qu’elles appelaient s Kopftiechel.

Marie-Barbe et Thérèse Krantz grand-mère
Marie-Barbe Krantz, ma Mamema et sa soeur Thérèse photographiées autour de 1910 © Studio Aloyse Merckling in Zabern

En regardant ce visage dont je viens, je me rends compte que je ne fondrai jamais dans l’idéal rêvé de la France d’un peuple uni et soudé, descendant des Gaulois, en oubliant mes origines. Les Alsaciens sont de descendance germanique. L’Alsace a fait partie du saint empire germanique pendant 9 siècles. De l’époque romaine à nos jours, l’Alsace n’a été française qu’un peu plus de 300 ans. Est-il si difficile de considérer que l’Alsace est une région de France de culture germanique ?

Ma grand-mère ne se sentait ni Française ni Allemande. Elle était Alsacienne. Cela voulait tout dire : les joies de faire partie de cette petite région, les peurs et les traumatismes vécues par les siens, la mort de ses oncles lors de la première guerre, la mort de proches lors de la 2e guerre, toute cette valse que l’Histoire nous a infligée, et lros de laquelle la France a donné le sentiment d’abandonner l’Alsace, notamment après la débâcle de 1940 et en 1953 avec le verdict injuste du procès de Bordeaux, qui révélait aujourd’hui comme hier, le pouvoir n’avait rien compris de ce qu’était l’Alsace, ses habitants et sa double culture.

Dans mon enfance, j’ai tant entendue dure que j’étais alsacienne qu’il ne me venait pas à l’idée de dire que j’étais Française. Pour les Alsaciens, les Français, d’Franzose, ne sont pas eux mais « ceux de l’Intérieur ». Même à l’école de journalisme, je devais faire un effort pour ne pas oublier, en évoquant les Français, de considérer les Alsaciens comme en en faisant partie.

Aujourd’hui encore, malgré soixante-dix ans de campagnes de nivellement pour faire des Alsaciens de bons Français, la greffe n’a pas pris : ils continuent à parler des Franzose.

Je me souviens d’une émission radiophonique des années 80 qui passait le dimanche matin à la radio régionale (qui faisait en ce temps-là encore partie de la télé et se situait place de Bordeaux à Strasbourg). L’émission, joyeuse et bilingue (en ce temps-là le bilinguisme était encore toléré sur les ondes en FM) s’appelait Hàsepfaffer ùnn salbschtgemàchti Nüdle (civet de lapin et nouilles-maison). Elle était animée par Marc Uhlrich et Raymond Waydelich, l’artiste-peintre facétieux, protéiforme et ami de Tomi Ungerer. Raymond faisait des blagues dans lesquelles ils titillaient parfois les « Français », comprenez les Français de l’Intérieur, groupe dont il s’excluait comme le font encore aujourd’hui, sans malice, naturellement et spontanément, bons nombres d’Alsaciens. Le directeur, Jean-Pierre David, au demeurant, un homme charmant, fut choqué et téléphona pour signaler aux animateurs que « l’Alsace se trouvait en France ». A midi, à la fin de l’émission, il vint dans le studio leur signifier que la série (qui avait duré trois dimanches) était définitivement arrêtée.

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