D’grien Schatt, L’ombre verte

Couverture recadree d'grien Schatt l'ombre verte
D’grien Schatt, L’ombre verte
© ID L’Edition,
Illustration Lucille Uhlrich

D’grien Schatt, L’ombre verte (ID l’Édition) est un texte d’amour au sujet de l’Alsace et de la nature. Confrontée à la disparition du noyer auprès duquel j’ai vécu pendant trois décennies, j’ai décrit dans ce livre mon attachement à la nature, et je l’ai associé à ma révolte contre la disparition de la langue alsacienne. Ce double sujet questionne l’Histoire de l’Alsace en résonance avec un arbre.

D’grien Schatt, L’ombre verte(ID L’Édition), extrait

De Nùssbaum trät ìm Friehjohr Katzle

Le noyer fait des fleurs en forme de chatons au printemps. Il porte à la fois les fleurs mâles et les fleurs femelles. Elles apparaissent en avril, avant les feuilles. Les fleurs mâles sont réunies en chatons d’une dizaine de centimètres de long qui pendent. Et les fleurs femelles naissent à l’extrémité des rameaux de l’année. Lorsque la fructification a eu lieu, les chatons tombent au sol. Leurs andains couleur vert eau et jaune pollen remplissaient des seaux et des seaux.

On ne s’en doute pas lorsque le noyer pousse dans un pré : les queues granuleuses tombent sur l’herbe et se confondent avec elle, leur pollen se mêle à la terre et à la chlorophylle. Mais sur notre sol pavé de grès rose, ces chatons formaient vite une étonnante couverture que nous ne pouvions laisser, car en marchant sur eux, ils se réduisaient en graines, et leur pollen faisait de petites traînées au sol qui s’accrochaient à nos chaussures.

Mir hàn üss laare Nùsshàlbschàle Schìffle gemàcht

À l’école primaire, nous fabriquions des bateaux minuscules avec des demi-coquilles de noix vidées. Mìr hàn üss laare Nùsshàlbschàle Schìffle gemàcht. Nous pouvions les décorer et les peindre avant de leur créer des voiles avec une allumette et de petits triangles de papier. Ensuite, à la maison, je les faisais caboter dans une cuvette d’eau. Enfant, je voyais aussi dans les demi-coques vides de possibles landaus miniatures ou des couffins pour des bébés lilliputiens. Et voilà que je me revois à l’école primaire, pour mon premier jour, à six ans, avec cette joie au cœur de découvrir un monde nouveau, puis l’effroi ressenti lorsque je compris que ma langue maternelle serait désormais interdite en ce lieu. Mais quels mots dire si l’on ne connaît que ceux de cette langue millénaire ? J’ignorais que l’unique langue que je pratiquais depuis ma naissance serait ici dorénavant interdite. Mon père ne m’avait pas prévenue de cette interdiction. Ma mère non plus. Savaient-ils seulement que cet interdit était appliqué dans toutes les écoles d’Alsace ? J’aimais la musique des mots français mais je ne pouvais m’exprimer qu’en alsacien. Comment être réactive aux mots : « assieds-toi » alors que dans ma langue on dit Setz dich ? Durant mes premiers jours d’école, je fus déchirée entre la joie de découvrir un monde nouveau et l’incapacité de ne pas savoir taire ces mots alsaciens. Et de ne pas parler « la bonne langue ».

Ce livre, vendu en librairies, peut aussi être commandé par ce lien sur la boutique de ID l’Édition.  

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