J’ai d’abord pensé à une blague lorsque circula la rumeur que le mot Christkinkindelsmärik ne figurerait plus à l’entrée du marché de Noël à la place Broglie. J’ai vu le marché s’installer et se peaufiner : j’y passe chaque matin à vélo lorsque je me rends à France Bleu Elsass. Force fut de constater qu’effectivement ce nom, tellement inscrit dans notre langue alsacienne et dans nos mémoires, ne serait pas là au frontispice du marché de Noël.
La raison invoquée est celle de la sécurité. Ce marché de Noël 2016, placé sous haute surveillance, ne permettait plus l’installation de l’arche.
Vraie raison ou prétexte ?
Cette inscription absente du marché le rend moins attrayant et révèle un malaise de société. Je suis triste et choquée que des élus prennent de telles décisions en prenant le prétexte de la sécurité.
En cette période étouffée par le « si politiquement correct », les élus n’osent plus dire l’évidence, ils s’auto-censurent, se baillonnent en invoquant des raisons de sécurité alors que, dans le grand magma du communautarisme à tous crins, plus personne n’a le courage de nommer un chat un chat. Quel manque de bravoure !
Nos élus ont peur des différences : ils veulent les aplanir alors qu’elles font la beauté et l’ossature de notre art de vivre et d’être. Le problème que pose cette volonté d’égalitarisme, c’est qu’elle nivelle par le bas, elle nous maintient au ras du sol alors que nous aspirons à être élevés. Mehr Licht !
Or, si nous n’avons plus droit à aucun signe religieux, nous entrons dans une uniformisation qui crée un climat de censure et qui ne fait qu’augmenter le climat d’insécurité.
La libéralisation des moeurs, qui fut à la base une vraie victoire, a entrainé cette saturation : l’Etat nous régule et ne cesse de nous fixer des limites. Nous vivons dans une République qui prône la liberté mais où l’on nous censure jusque dans nos racines les plus profondes.
On impose aux musulmans la laïcité, du coup on se l’impose à nous-même avec des dérives aussi abracadabrantes et stupides. Nous voici à l’ère où l’on s’interroge si des signes religieux aussi anodins que la crèche ont encore droit de cité.
Ce « vivre-ensemble mondialisé » que l’on prêche en France se fait au détriment des particularités car c’est l’égalitarisme qui s’installe partout. Et l’égalitarisme n’est hélas pas l’égalité.
Pensez-vous que cela auraient gêné les musulmans de voir le mot Christkindelsmärik à l’entrée du marché de Noël ? Les Musulmans que je connais sont tolérants, ouverts au monde et à l’autre. Et nos interrogations sur le droit de poser ou une crèche dans un lieu public les laissent souvent dubitatifs.
On coupe de sa source le marché qui existe depuis 446 ans, qui était une tradition et qui aujourd’hui n’est plus qu’un marché. Si nous ne sommes plus en mesure de défendre l’appellation en langue alsacienne du marché de Noël, bientôt nous ne pourrons plus fêter Noël, par peur de ne plus être dans le politiquement correct.
Les décideurs à l’origine de ces initiatives savent-ils qui est le Christkindel ? Le mot se traduit par « petit enfant Jésus ». Mais ce personnage issu des Noëls alémaniques n’est pas masculin : il est symbolisé par une jeune fille enveloppée de voilages blancs, qui porte une bougie à la main. Cette jeune fille porte parfois une couronne de bougies sur la tête pour rappeler les fêtes de Sainte Lucie dans les pays scandinaves et qui célèbre par cette sainte la lumière si rare en décembre. La jeune fille qui symbolise le Christkindel vient apporter les cadeaux le soir de Noël. Le Christkindel est l’élément doux, réconfortant par opposition au Rübbels ou au Hans Trapp (le père fouettard), effrayant et que le Christkindel doit tempérer. C’est dans cette tradition que j’ai grandi. N’en déplaise à nos élus qui se sentent si politiquement corrects.
Encore un petit effort et le Christkindel aura totalement disparu du paysage alsacien. Il a de toute façon depuis longtemps été détrôné par le Père Noël, totalement hors sujet dans les noëls d’origine alémanique. Là aussi la mise au pas a créé un nivellement inévitable. Le Christkindel existait encore par cette écriture lumineuse de la place Broglie et rappelait des miettes de ce que la francisation à outrance a ratiboisé.
Qui osera encore dire combien notre culture, notre langue, nos traditions d’Alsace sont belles sans craindre d’être humiliés et ridiculisés par les censeurs de la République ?