Pour faire le portrait d’un oiseau : le poème de Prévert en alsacien

Parmi mes poèmes préférés de Jacques Prévert figure celui-ci, que j’ai eu le plaisir de traduire  pour le recueil Prévert en alsacien. C’était en 1999. Je l’avais alors proposé à Bernard Reumaux qui dirigeait en ce temps-là  la maison d’édition strasbourgeoise La Nuée Bleue. Le voici en version alsacienne et ensuite dans la version originale, française, de Jacques Prévert.

© Photo by Bradley Feller on Unsplash

Fer ‘s Bild vu ‘me Vöjel ze mole

an d’Elsa Henriquez


Mol zeerscht e Käffi
mit eme offene Deerel,

mol denoh
ebbs Netts
ebbs Einfachs
ebbs Scheens
ebbs Nitzlichs…
fer de Vöjel.

noh stell d’ Dafel an e Baum
in e Garte
in e Wäldel
odder in e Wald
versteck dich hinterm Baum.

mücks dich nitt
un riehr dich nitt…

Manichmol kommt de Vöjel ball
awwer es kann au langi Johre düüre
ebb ass er sich dezüe entscheide kann.

D’Hoffnung nitt ufgenn,
warte,
johrelang warte wenn’s müess sinn.

ob de Vöjel schnell oder langsam kommt
hängt nitt mit’m Gerote von de Dafel z’samme.

Wenn de Vöjel kommt
-wenn er jo kommt-,
blib miislich still,
wart bis dass de Vöjel in de Käffi geht,
un wenn er drinne isch,
mach ‘s Deerel sachte mit’em Pensel züe.

denoh,
wisch eins nooch em andere alli Gitterstäwle üs
un pass uf dass dü an ken Fedder vum Vöjel kommsch.

Mach noh ‘s Bild vum Baum
wähl fer de Vöjel
de scheenscht vun de Näscht üs,

mol au ’s griene Laub un d’Frische vum Wind,
de Staub vun de Sunn
un de Krach vum Vieh uf de Weid in de Summerhitz,

un wart noh bis dass de Vöjel endlich anfangt ze singe.

Wenn de Vöjel nitt singt
isch’s e schlechts Zeiche :
e Zeiche dass d’Dafel missrote isch
wenn er awwer singt isch ’s e güets Zeiche
‘s Zeiche dass dü unterschriiwe kannsch
Ropf denoh ganz sachte
im Vöjel e Fedder erüs
un setz i’me Eck vun de Dafel dine Namme drunter.

Jacques Prévert, traduit par Simone Morgenthaler et Raymond Matzen, extrait du recueil Prévert en alsacien (La Nuée Bleue)

Pour faire le portrait d’un oiseau

Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau
Placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
Se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger…
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis effacer un à un les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

Jacques Prévert, Paroles -1945-

Ce livre est toujours disponible à la vente dans les librairies et à la Nuée Bleue sous ce lien  

De l’oiseau coloré représenté, photographié par Bradley Feller, celui-ci écrit: Lors d’un safari en Tanzanie, j’ai souvent rencontré ces magnifiques oiseaux. Ces étonnants oiseaux ont au moins 7 couleurs différentes et sont non seulement beaux mais aussi très agressifs. J’ai vu ces oiseaux tourmenter des aigles et des faucons de plusieurs fois leur taille

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