La flamme d’une chandelle

Ce n’est pas simple de décrire la flamme d’une chandelle, avec ce feu bleu à sa base, qui s’irise d’ocre, pour devenir fuseau de lumière, avec, à son extrémité, sa mèche rougeoyante comme du mica.

Ce fuseau mouvant, qui s’évase vers le haut, qui danse au moindre souffle et se contorsionne comme un derviche, ouvre la porte à toutes les rêveries.

Longtemps j’ignorais la force de la chandelle, de sa flamme qui aimante le regard, le purifie, qui le guide vers le jour, vers la sente à emprunter.

Dans le tête-à-tête avec soi, rien ne vaut la présence d’une chandelle. Sa flamme est témoin discret, apte à aspirer le chagrin ou la peur qui se tapit derrière le regard.

C’est si peu la flamme d’une chandelle. Et c’est beaucoup.

Choisissez de prendre le petit-déjeuner en sa compagnie.

Cette lueur, ce mouvant oscillant et vrillant, c’est ce qu’il faut pour entrer avec douceur dans le jour, avant que vous soyez happé(e) par le tintamarre de la vie

Un jour, ma fille m’a offert un petit livre de Gaston Bachelard, La flamme d’une chandelle. C’était pour mes quarante. Il écrivait, avec les mots du philosophe et de l’épistémologue, ce que je ressentais.

Extrait

Entre toutes les images, les images de la flamme — les naïves comme les plus alambiquées, les sages comme les folles — portent un signe de poésie.

Tout rêveur de flamme est un poète en puissance.

Toute rêverie devant la flamme est une rêverie qui admire. Tout rêveur de flamme est en état de rêverie première.

Cette admiration première est enracinée dans notre lointain passé.

Nous avons pour la flamme une admiration naturelle, on ose dire : une admiration innée.

La flamme détermine une accentuation du plaisir de voir, un au-delà du toujours vu.

Elle nous force à regarder.

La flamme nous appelle à voir en première fois nous en avons mille souvenirs, nous en rêvons tout à la personnalité d’une très vieille mémoire et cependant nous en rêvons comme tout le monde, nous nous souvenons comme tout le monde se souvient — alors, suivant une des lois les plus constantes de la rêverie devant la flamme, le rêveur vit dans un passé qui n’est plus uniquement le sien, dans le passé des premiers feux du monde.

Ainsi la contemplation de la flamme pérennise une rêverie première.

Elle nous détache du monde et elle agrandit le monde du rêveur.

La flamme est à elle seule une grande présence, mais, près d’elle, on va rêver loin, trop loin: « On se perd en rêveries. »

La flamme est là, menue et chétive, luttant pour maintenir son être, et le rêveur s’en va rêver ailleurs, perdant son propre être, en rêvant grand, trop grand — en rêvant au monde.

La flamme est un monde pour l’homme seul.

Extrait du livre La flamme d’une chandelle (Gaston Bachelard) , Les Presses universitaires de France, 1961

 

C’est si peu la flamme d’une chandelle. Et c’est tout. © S.Morgenthaler

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