Jean-Paul Gunsett, une voix radio d’Alsace qui s’est éteinte un 21 décembre

Photo prise lors d’une réunion de travail des retraités par Georges Traband qui fut directeur de France 3 Alsace et qui présidait en Alsace l’ANRA, l’amicale des retraités de l’audio-visuel.

Sa voix radiophonique a bercé les ondes de la radio régionale de 1947 à 1983.

Jean-Paul Gunsett, mémoire de la radio-télé régionale, pionnier de la radio d’après-guerre en Alsace, est décédé le 21 décembre 2017 au moment du solstice d’hiver,  à cette époque où les jours sont si courts et les nuits si longues.

Il fut mon professeur de radio au Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme. Je le retrouvais ensuite comme directeur de Radio Alsace (ex Radio Strasbourg et future France Bleu Alsace/Elsass), la radio régionale qui  cohabitait avec la télé nommée FR3 Alsace à la Maison de la radio, place de Bordeaux à Strasbourg.

Il resta mon directeur jusqu’en 1983. C’est à cette époque qu’eut lieu la césure de la radio et de la télé. Les radios régionales entrèrent dans le giron de Radio France. Jean-Paul Gunsett sera alors « remercié ».

Sa voix au timbre velouté, reconnaissable entre tous, était aimé des Alsaciens. Il s’exprimait en alsacien, en français et un allemand avec une perfection qui laissait son auditoire subjugué. En sa qualité de speaker-Sprecher, il fut souvent sollicité par les radios et les télévisions allemandes.

Il était aussi un homme d’écriture, auteur de recueils de poésie en trois langues. Je garderai de lui l’image d’un homme élégant, bienveillant et de grande courtoisie

J’avais pris pour habitude de manger deux ou trois fois par an avec lui, et cela par l’entremise de mon collègue et ami  Jean-Claude Zieger, qui faisait le lien organisait régulièrement ces repas de retrouvailles au cours desquels nous écoutions avec ravissement les faits narrés avec une grande précision de mémoire  par Jean-Paul Gunsett.

Notre dernier rendez-vous était fixé au 7 juillet 2017. Il s’est décommandé la veille car il se sentait fatigué.

C’est un homme bien qui est parti. Ce sont ces mots qui ondoient avec persistance en moi depuis que j’ai appris sa mort.



11 avril 1957, de gauche à droite : Maurice Cauvet de Nerval, directeur de la télévision régionale naissante, Jean-Paul Gunsett à 32 ans et son ami Pierre André qui fut également animateur radio. Tous deux furent mes professeurs au CUEJ.


J’ai consacré le texte ci-après à Jean-Paul Gunsett dans mon livre « Ces années-là, 30 ans de souvenirs radio et télé » (La Nuée Bleue).

Gunsett m’a dit

J’avais rendez-vous avec Jean-Paul Gunsett le 22 avril 2004. Il faisait un temps d’ été. 26° à l’ombre. Des grappes d’étudiants se prélassaient sur les pelouses de la place de la République. Les ginkgo biloba avaient déroulé leurs feuilles en une nuit. J’avais une heure devant moi avant la rencontre alors j’ ai commencé à lire le livre d’Alain Howiller sorti ce jour-là. Le directeur-rédacteur en chef  des DNA y raconte  entre autres son engagement pour l’Europe. Cela tombait bien. Nous étions la  veille de l’inauguration du Jardin des deux rives au Pont du Rhin. La manifestation était un bel exemple de transfrontalité. J’aimais cette synergie de  hasards qui me baignait dans un esprit de transfrontalité. Jean-Paul Gunsett fut à sa façon un bâtisseur d’ Europe, avec Martin Allheilig et Pierre André. Ce trio inséparable,  lié par une indéfectible amitié propageait à la radio, dès l’après-guerre, un  idéal de transfrontalité, de coopération avec l’Allemagne alors que, l’incorporation de force ou l’exil à Paris aurait   pu  naturellement engendrer un phénomène de rejet.  La volonté qu’ils affichaient pour que soient surmontées les rancœurs et que  s’établissent des relations amicales entre les deux rives du Rhin, méritent d’être rappelée. Cette  ouverture d’esprit m’ état pas monnaie courante  dans le proche après-guerre.

En direct de Haguenau, en octobre 1976. De gauche à droite : le maire André Traband, au centre l’homme de radio Pierre André, le journaliste Jean-Claude Zieger et, debout à droite, Jean-Paul Gunsett alors directeur de la radio ©Jean-Claude Zieger

Jean Paul Gunsett fut mon directeur à la radio à mes débuts en 1976 et il reste pour moi un bel exemple de transfrontalité. Sa maîtrise de la langue allemande reste un plaisir pour l’ oreille. Et il a mené durant sa carrière tant d’ émissions faite en co-productions avec l’ Allemagne et la Suisse.

Lorsque j’ai sonné à sa porte, il  était en train de mettre au point la soirée poétique du 27 juillet 2004 au  Munsterhof , intitulée « Jardin des deux rimes ». La préparation de la soirée lui permettait de se plonger en ses poètes aimés, ceux qui font fleurir des mots sur le Rhin: Weckmann,  Apollinaire, Hölderlin, Vigée, Victor Hugo, Adrien Finck; Hildegard von Bingen, Musset, René Schickele, Gérard de Nerval.

Jean-Paul a toujours aimé la poésie. Adolescent, il s’essayait déjà à la rime à Masevaux, où son père greffier de justice, passionné de musique classique et de chant lui disait : tu seras pasteur. Et Jean-Paul répondait : « Pasteur ou acteur ». Sans doute saisissait-il d’instinct que sa voix avait un timbre séduisant, qu’il était venu au monde doté d’une « voix radio ». L’ univers radiophonique l’aimantait déjà dans  l’enfance : ses parents avaient acheté une radio dès 1929. Il avait alors 4 ans . Cet univers lui plaisait. J’étais surtout marqué en écoutant  Radio Bâle  par un reporter du nom de Werner Haussmann. Je trouvais qu’il faisait un beau métier, m’a t’il dit.

Après ses études  secondaires, incorporé de force dans la Wehrmacht, de 1943 à 1945, il se rendra de Dresden en Pologne, puis en Prusse Orientale, en Hongrie et en Autriche. Après la guerre, il entreprend des études de droit et de lettres. En 1947, il répond à une annonce parue dans les DNA, pour un concours de « speaker bilingue ». Le concours  comporte une dissertation de 4 heures, une épreuve de thème et de version suivi d’une épreuve orale avec un jury comprenant Pierre Caussidery, Martin Allheilig et Antoine Bourbon. Un seul candidat sera retenu : lui qui démarre à Radio Strasbourg  le 2 mai 1947. Il s’inscrit parallèlement au cours d’Antoine Bourbon au conservatoire et remporte en 1949 le premier prix de diction et de comédie. Le théâtre me chatouillait déjà au 6e au gymnase Jean Sturm où j’avais créé une petite troupe. En 5e, j’ai créé un journal qui s’appelait « l’œuf ambulant ». A côté du speaking, il mène des activités artistiques de lecteur, comédien et metteur en ondes. Il est aussi auteur de documentaires, il adapte des pièces pour la radio, fait des interviews et des reportages.

C’est une époque pionnière. Martin Allheilig, qui a découvert la littérature alsacienne à Paris, pendant la guerre, le sensibilise aux bons auteurs.C’est ainsi qu’il fait la connaissance du poète sundgauvien Nathan Katz avec lequel il réalisera de nombreuses émissions. Martin Allheilig a réussi en 1950 à réintroduire les émissions en langue allemande sur Radio Strasbourg, il fallait du cran et de l’endurance pour oser introduire une langue qui restait pour beaucoup celle de l’ennemi, précisait Jean-Paul. Martin y est parvenu grâce au directeur Caussidery, un Occitan qui avait compris la situation culturelle complexe de l’ Alsace. Un directeur alsacien n’aurait jamais permis cela.

Jean-Paul a fait sa première télé en octobre 1954. On m’a cherché à la radio pour faire de la télé  et présenter le journal. Idem pour Pierre André. Cela se passait dans l’ancienne Maison de la radio déjà située place de Bordeaux, au même emplacement. La 1ère équipe du journal d’actualité comprenait aussi Francis Lieber, Pierre André, Maurice Cauvet de Nerval et José Kullmann. Je suis le dernier survivant de cette équipe, précisait-il.

A partir de 1966, il est chargé de présentation et de co-production avec les  radios et les  télé allemandes : Sender Freies Berlin et le Norddeutsche Rundfunk Hambourg dans le cadre de jumelages. Il est aussi chargé de cours radio et TV au Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme de 1963 à 1978. C’est là que je l’ai rencontré en 1971. Il sera mon professeur de radio pendant trois ans.  Je le retrouve en entrant à FR3 Alsace en 1976, l’année même où il est nommé responsable de la production radio. Pierre André, Pierrot comme il l’appelait, sera nommé  responsable de la production télé. Tous deux travaillaient sous la férule de Martin Allheilig, directeur  des programmes radio et télé. C’est en 1983 que la radio cesse d’ être propriété de FR3 pour entrer dans le giron de Radio France. Jean Paul Gunsett, comme Pierre André, seront remerciés et mis en préretraite. Ils avaient déjà  connu un baptême  du feu quelques années auparavant, en 1974, lorsque sous Giscard, une loi sur l’audiovisuel supprima les postes de speaker. Jean-Paul Gunsett et Pierre André furent licenciés pour être réintégrer dans la foulée!

Il connaîtra, la retraite venue,  deux belles récompense : en 1984, le Bretzel d’ or pour la poésie et en 1985, il fut lauréat, en même temps que  Martin Allheilig du Oberrheinische Kulturpreis de la Goethe Stiftung à Bâle. Sa retraite ne lui pèsera pas, au contraire elle lui donnait des moments d’ épanouissement avec ses prestations  de lecteur, comédien et de conférencier.

La poésie restait toujours sa bien-aimée.  Un attachement qui date. Saviez-vous que le 1er numéro de Saisons d’Alsace dirigé par Antoine Fischer,  contenait en 1949 un de mes poèmes ?, m’avait-il dit.

En me retrouvant avenue des Vosges, j’ai vu une affiche pour le jardin des deux rives avec la passerelle de Marc Mimram et sa belle symbolique. L’ affiche évoquait aussi les « mille rendez-vous » entre avril et octobre 2004. Jean-Paul Gunsett, était l’un de ces « rendez-vous ». J’ai pensé que mon premier directeur de radio avait été sa vie durant un passeur d’idées, porteur d’un bel idéal, en cette terre de frontière au souffle rhénan.

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