Perruches végétales : mes adorées

La fleur de l’asclaepia, tendrement rose, est courtisée du matin au soir par les abeilles. Qui se douterait qu’elle va donner ces oiseaux végétaux ? © S. Morgenthaler

J’aime revivre chaque année à l’automne le petit bonheur de voir ces perruches agrippées à un verre d’eau pour s’y désaltérer. Ces oiselles végétales au dos rainurés, à l’agréable texture mate, sont le fruit d’une plante, nommée asclaepia cornuti. Dans mon enfance, elles poussaient en quelques jardins du village, guère dans le nôtre et c’était grand plaisir pour moi de me rendre au bistrot « Au Bain » pour y acheter de la bière et de la limonade et voir, à l’automne, sur le comptoir, agglutinés autour du verre à eau, les perruches immobiles qui tenaient par leur « bec » trempé dans l’eau.

A la fin de la floraison se forment ces fruits en formes de perruches qui offrent dans le jardin une vue plutôt surréaliste d’oiseaux placés « à l’envers ».

Il y a quelques années j’ai eu envie de redonner vie à l’étrange rituel de cette plante nommée « arbre à perruches » ou « herbe à perruches » qui engendre ces oiseaux végétaux. J’ai cherché comment acquérir cette plante vivace rustique originaire d’Amérique du Nord. Et je l’ai trouvée dans un catalogue. Je l’ai commandée par correspondance et l’ai plantée il y a dix ans. La plante a d’abord poussé sans donner aucun fruit-perruche. L’hiver suivant fut rigoureux et la plante ne revint pas. Ma tentative était vouée à l’échec.

Quelle ne fut ma surprise de voir réapparaître trois ans plus tard au printemps des dizaines de pousses que je parvins à identifier : il s’agissait bien des boules de fleurettes roses que viennent butiner jusque tard dans l’après-midi, jusqu’à la tombée de la nuit, les abeilles et les bourdons. Quel plaisir de voir ensuite les pistils fécondés se transformer en petits oiseaux suspendus à l’envers et reliés à la tige par ce qui sera le bec. Pour cueillir ces perruches, enfilez de préférence des gants car la tige fait couler un latex qui colle comme de la glu.

Après quelques semaines, le dos s’entr’ouvrira et lâchera des graines, pastilles brunes surmontées d’une aigrette © S.Morgenthaler

Si vous en avez dans le jardin, cueillez ces fruits en forme de perruche pour les préserver du froid. Le gel fait disparaître totalement la plante qui revient de plus belle au printemps se disséminant là où les graines sont tombées.

D’ici un mois, les perruches évolueront : leur dos rainuré s’entrouvrira et laissera échapper des graines qui sont à elles seules un spectacle. Les petites pastilles brunâtres portent chacune une longue aigrette, petit fil de soie si doux, si léger. C’est pour cette raison que cette plante est aussi appelée « herbe à ouate ». Lorsque la rainure dorsale se fend, les graines et leurs aigrettes soyeuses s’envolent par milliers. Le moindre souffle les fait très vite se propulser dans les airs. Depuis, chaque année, mon jardin est tant envahi qu’il me faut sévir pour ne pas être colonisée par ces perruches du silence.

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