Jour de pot-au-feu traditionnel pour la Kirb

Es gìbt Sùppefleisch fer d’Kìrb

Pot-au-feu avec crudités et des pommes de terres braisées dites « Gebradelti » © Simone Morgenthaler

Le mot Kilb désigne en alsacien la fête de village, généralement la fête patronale, que l’on nomme aussi Kirb ou, (dans le Haut-Rhin), Kiwla . Dans mon village on appelle cette fête Massti ou Messti. Ce mot se dit Messtag en allemand et désigne le jour où l’on fait une messe et une fête en l’honneur du saint-patron de l’église. Cette fête donnait lieu dans des temps plus anciens à un jour de liesse avec la venue de stands, de manèges, et d’autres attractions foraines. Elle donnait aussi lieu à des fêtes de famille au cours desquelles on proposait des spécialités, tel que le pot-au-feu avec son bouillon aux quenelles de moelle (dit Màrikknepfelsùpp), sa cohorte de crudités (verschideni Sàlatle), ses différents morceaux de boeuf (verschideni Sorte Rìndfleisch) et ses os à moelle (Màrikknoche).

Françoise m’a écrit pour m’expliquer que dans son village d’Alsace Bossue de tradition luthérienne, la Kirb est célébrée pour fêter les moissons de l’été. Elle précise que, dans chaque village, la Kirb est célébrée un dimanche, et toujours à une autre date, pour que les fêtes n’aient pas lieu le même jour, ce qui explique que le calendrier soit si étalé dans le temps et que cette Kirb peut être célébrée même début novembre avec un bal en soirée dans le grand restaurant du village. Elle m’a écrit combien lui tient à coeur la recette du pot-au-feu qui se perpétue toujours encore dans les fermes et foyers d’Alsace Bossue à l’occasion de cette fête. Elle a écrit le texte ci-bas qui remémore les ambiances qui entourent la préparation et la dégustation du pot-au-feu.

Françoise est originaire d’un village situé non loin de Mittelbronn, dans la partie nord-ouest de l’Alsace nommée « s krumme Elsass » (l’Alsace dite « bossue » en raison de ses paysages de collines). Les champs sont bordés par endroits de chemins ornés de buissons de mûres. Elle précise que quasiment tous les éléments de ce repas étaient issus de  la ferme, y compris le raifort, cette racine si forte qui faisait pleurer abondamment pendant sa préparation ! Bonne lecture du texte de Françoise  ci-après.

Pot-au-feu et os à moelle © Simone Morgenthaler

Dans nos campagnes, le jour de la fête des moissons, se déguste en famille, dans les fermes et à la maison, le plat complet qu’est le pot-au-feu. C’est cette recette se transmet de génération en génération. Elle se préparait comme suit, écrit-elle.

Laissez mijoter lentement et longtemps la viande maigre et légèrement gélatineuse dans une très grande marmite, dans de l’eau de source avec les 3 ou 4 os à moelle (ajoutés vers la fin) qui donnent un goût exquis, avec la queue ou le pied de porc pour le liant, avec un bouquet garni ficelé, de la noix de muscade, et – vers la fin-, ajoutez les légumes : poireaux, carottes, navets, 6 ou 7 pommes de terre, quelques vermicelles vers la fin de la cuisson.

Salade de pot-au-feu faite le lendemain avec des restes de viande de boeuf cuite au bouillon © Simone Morgenthaler

L’habitude et le rituel consistent à manger la moelle des os en apéritif, sur un petit bout de pain chaud (beurré ou non, c’est selon), c’est un pur régal.

Pour le repas de midi, le bouillon est servi dans de grandes assiettes creuses, versé sur une tranche de pain de campagne posé au fond de l’assiette qui trempera dans le bouillon avec quelques vermicelles. – Puis la viande est servie sur un grand plat, coupée en tranches, entourée des pommes de terre. Elle est à déguster avec du raifort, mélangé à de la crème fraîche s’il est trop fort.

Viennent, en accompagnement, les poireaux, les navets et toutes sortes de salades, à savoir : salade de carottes cuites coupées en petits dés, salade de concombres, salade de betteraves rouges coupées en lamelles, ornées de grandes rondelles d’oignons détachées en cercles (beaucoup plus élégant que les oignons coupés en dés), salade de pommes de terre elles-aussi coupées en lamelles et assaisonnées avec un peu de lait chaud et de la noix de muscade râpée (indispensable), salade de 6 oeufs durs coupés en petits dés, salade de céleri râpé additionnée de crème fraîche, le tout assaisonné de vinaigre de plantes et de miel dit Melfor, huile, sel, ail, oignons et persil.

Le plat est servi avec un bon riesling bien frais.

Le repas du soir consiste soit en bouchées à la reine (au poulet de la ferme) avec nouilles faites maison, et une grande salade verte, soit de la palette (dite Schifala), servie avec de la purée de pommes de terre additionnée d’un peu de lait chaud et de noix de muscade et servie avec une grande salade verte.

Sans oublier les desserts, composés souvent de tarte aux pommes et de kugelhopf. Françoise se souvient que sa tante faisait également un grand et très beau gâteau pour le dessert, garni de crème à l’intérieur comme à l’extérieur et qu’elle aidait à préparer la veille.  C’était un grand biscuit préparé la veille et coupé deux fois à l’horizontale avec du fil pour ensuite être garni avec les deux couches de crème. Le pourtour était également garni de crème ainsi que le dessus, avec de jolies décorations. La plupart du temps, c’était de la crème au café que nous préparions nous-mêmes. Sa tante préparait aussi tarte aux pruneaux décorée de fins lés de pâte entrecroisés. Les pruneaux étaient séchés à partir des prunes du verger. Le repas se terminait avec des eaux-de-vie réservés aux grands. C’est en cela que consistait un repas de Kilb en Alsace.

Merci, Françoise. A lire votre texte, on a l’eau à la bouche et on rêverait de déguster ce pot-au-feu.

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