Franck Barthel, l’excellent aubergiste de Sélestat

Franck Barthel chez lui, « Au bon pichet » à Sélestat, le 29 octobre 2025

Cette journée d’été indien de fin octobre m’a donné envie de flâner à Sélestat, petite ville du centre-Alsace, qui devient de plus en plus coquette. Je suis retournée à la winstub « Au bon pichet », dont la façade peinte par Edgar Mahler rappelle qu’autrefois ce bistrot s’appelait « Le lion rouge » (le lion est l’emblème de Sélestat). Je m’y suis rendue quelquefois depuis les années 90 où Roland Barthel a repris ce restaurant après avoir réjoui pendant 24 ans les habitants de Huttenheim avec sa boucherie. Son fils Franck vint le rejoindre après avoir travaillé durant deux ans dans les cuisines de l’Auberge de l’Ill.

C’est précisément l’adorable et exceptionnel Paul Haeberlin qui m’a parlé il y a plus de trente ans de cette winstub dans laquelle il se rendait fidèlement chaque semaine (le mardi jour de marché) pour manger. Paul me disait grand bien de ce boucher devenu cuisinier, qui préparait des charcuteries et des viandes de parfaite qualité.

Les Barthel n’étaient pas seulement adoubés et aimés par Paul Haeberlin. Le chef y a aussi fait venir Paul Bocuse et Pierre Troisgros qui se sont régalés plus d’une fois en ce lieu.

De la table où j’étais assise aujourd’hui, j’avais l’impression d’être une petite souris, car je voyais le chef oeuvrer, de sa façon calme et concentrée, avec le geste sûr, à travailler le produit frais à la dernière minute. Cela faisait longtemps que je n’avais plus mangé de si bons rognons, saisis à point avec une sauce à la crème et à la moutarde, salés et poivrés comme il faut. Les feuilles d’épinards qui les accompagnaient étaient juste saisis à la poêle quelques secondes avant d’être servis, avec des pommes de terre qui, elles, avaient eu le temps de braiser doucement.

En salle, Manon oeuvrait avec le même professionnalisme que son père. Je m’étonnais de ne pas voir Roland, son grand-père. « Il est décédé en avril », me dit-elle. Je fus attristée du départ de ce bienveillant si nature, qui parlait un alsacien imagé et fluide. J’ai pensé à sa femme, Simone, fille de pâtissiers, qui doit désormais composer avec son absence.

Lorsque, après le service, Franck est venu me rejoindre à la table, il m’a mise en appétit en m’annonçant que bientôt il démarrerait une de ses spécialités : le pied de cochon pour lequel Paul Haeberlin serait passé à travers le feu.
Dans cette recette complexe élaborée par Franck, les pieds longuement cuits avec des herbes aromatiques sont ensuite désossés, emplis d’une farce « Princesse », pressés puis grillés à la poêle, et servis avec des pommes de terre façon vallée de Munster.

« Cette recette de pieds de porc a t’elle un nom ? » ai-je demandé à Franck Barthel.

Dans sa grande humilité, Franck a hésité à me dire que pour lui ce sont « les pieds de porc Paul Haeberlin », et qu’il allait jusqu’à apporter ce mets à Monsieur Paul à son domicile à Illhaeusern lorsque celui-ci le lui demandait par téléphone.

Avant que nous nous séparions, Franck m’a dit qu’il était petit garçon lorsqu’il me regardait à la télé. Cela me touche toujours d’apprendre que de grands gaillards comme lui ont suivi mes émissions, avec leurs parents et grands-parents, alors qu’ils étaient enfants. Il y a dans leurs yeux tant de gentillesse que cela me fait fondre. Au moment où je faisais les émissions, je n’imaginais pas vivre cela trois ou quatre décennies plus tard. Je le vis avec un profond sentiment de reconnaissance.

La façade de la winstub « Au bon pichet » fut peinte par Edgar Mahler

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