Betteraves creusées : au pays de Caux aussi, révèle Pascal Levaillant

Pascal Levaillant m’a écrit du pays de Caux, en Normandie, où il se passionne pour les traditions. Il m’a informée que l’article de mon site sur L’origine du rite des betteraves creusées en crâne et éclairées d’une bougie avait éveillé dans sa mémoire des souvenirs des années 1980 où une vieille dame lui racontait que des betteraves creusées et illuminées étaient posées le 31 octobre, sur le bord de la nationale Yvetot-Le Havre, en pays de Caux. Il a précisé que beaucoup de mots cauchois ont une origine noroise et germanique, ainsi que scandinave et que la rave comme la betterave était une des plantes phares du pays de Caux.

Il écrit ceci : En pays de Caux la tradition des betteraves creusées et illuminées avaient cours bien avant que les Américains nous inondent de leurs fameuses citrouilles creusées et illuminées qui ont finalement détrôné nos betteraves anglo-normandes et du nord-est de la France (presque définitivement au début du 21e siècle). 

Pascal Levaillant et sa betterave creusée en forme de crâne © P.Levaillant

C’est sans compter sur l’Alsace  qui revisite cette tradition germanique s’étant propagée également en pays de Caux – comme le rapportent les études consultées – chez nous par les peuples anglo-saxons et norois suite probablement aux raids dits barbares ou germaniques depuis la fin du 3e siècle.

Intrigué par une animation prévue  à la fin du mois d’octobre organisée à la ferme d’Epaville, je me suis interrogé sur cette tradition ou sur cette innovation intégrant des betteraves sucrières en pointe mais tout en faisant référence à une tradition plutot celte, bretonne ou irlandaise d’après mon enquête …

L’annonce est la suivante : »Deux heures d’atelier à la ferme pendant lesquelles vous serez immergés dans la maison d’autrefois pour y évoquer les origines de la fête d’Halloween. Vous irez ensuite sous le hangar près du bois afin de réaliser en famille votre lanterne d’Halloween à partir de betteraves sucrières. Ce sera l’occasion d’aborder le thème des cultures, de la betterave, des circuits courts et du sucre…

Pour que la visite soit encore plus mémorable, venez déguisés !

À partir de 4 ans – accompagné d’un adulte
Sur réservation uniquement : ferme-epaville.com rubrique découvrir et s’amuser, ferme de découverte »

in : https://www.lehavre-etretat-tourisme.com/fr/fiche/montivilliers/atelier-halloween–les-betteraves-sucrieres_TFOFMANOR076V523K7C/

Pascal Levaillant poursuit :

Cette information lue récemment m’a remémorré un fait qui dans les années 1980, m’avait été rapporté par une « vieille dame » que l’on appelait  « Mémé Dudu » âgée à cette époque de plus de 80 ans.

En revanche, elle m’avait raconté que dans le pays de Caux il y avait une tradition qu’elle avait connu au temps où  elle habitait Alvimare, petit village entre Yvetot et la Pointe de Caux.
Elle me racontait que des betteraves était creusées  pour y loger de petites bougies le soir du 31 octobre pour conjurer la mort au moment de la Toussaint.
C’est la seule cauchoise qui m’a conté cela. Elle m’a rapporté cela – comme elle me racontait bien d’autres  souvenirs – car à la vue des citrouilles et potirons allumés  au 31 octobre à Halloween, elle rigolait bien de voir tout ce nouveau folkore sachant qu’elle me disait qu’on inventait rien de nouveau sachant que la tradition des betteraves fourragères, creusées et éclairées par des bougies avait malheureusement disparu.

Elles étaient creusées par la base et pour qu’elle trouve une assises stable et pour mettre la bougie à l’interieur ou créusées latéralement selon leurs tailles et volumes

Ces betteraves étaient placées au bord de la nationale Rouen-Le Havre à Alvimare.
Recherchant des informations tout azimut, lisant un article de Simone Morgenthaler sur cette tradition alsacienne je me suis dit que cette tradition raontée par la mémé « Dudu » venani peut-être de l’est de la France !

N’étant plus le seul cauchois à évoquer cette supposée tradition, j’ai cherché à me documenter davantage.

En voici la synthèse de Pascal Levaillant : 

 » L’article fort bien documenté de Simone Morgenthaler, rappelle une ancienne tradition alsacienne de betteraves fourragères creusées en forme de crânes, appelées «Totekëpf ou « ùskelischti Dìrlìpse » », qui étaient illuminées par des bougies et placées sur les rebords de fenêtres pour créer une atmosphère étrange. Cette coutume, aujourd’hui disparue, a été remplacée outre-Atlantique par celle des citrouilles, popularisée par Halloween.  

Simone Morgenthaler, en cherchant à raviver cette tradition en Alsace, a découvert grâce à Sébastien Günther, spécialiste de l’histoire mérovingienne, que cette pratique n’était pas tellement d’origine celtique mais plutôt germanique. 

Sébastien Günther apporte des éclaircissements sur les « Rünbengeister » (esprits dans les navets) qui étaient répandus dans les régions germanophones (Allemagne, Autriche, Suisse, etc.) et dans certaines zones comme les îles britanniques, avant d’être adaptées en citrouilles en Amérique pour Halloween. Günther souligne que cette tradition est absente des territoires celtiques et correspond davantage à l’aire culturelle germanique.  Il explique que les Germains, arrivés en Alsace vers 406, ont conservé leurs traditions tout en vivant en parallèle des populations celto-romaines, déjà influencées par Rome et le christianisme. 

Une carte montre que cette coutume était présente dans les régions germanophones et absente de l’ancienne Gaule, sauf dans des zones comme l’Alsace, la Moselle et les Flandres françaises.  En effet sur la carte de Sébastien Günther transmise par Simone Morgenthaler, elle indique les cercles rouges où les betteraves taillées existent ou ont existé. On se rend bien compte dit-elle qu’il semble y avoir un lien avec les régions germanophones, et de son absence de l’ancienne Gaule. Ce que je peux remarquer à ce titre c’est le cercle situé entre le Cotentin et le pays de Caux (les calètes de la Gaule Belgica), hormis l’Alsace et la Moselle qui a été tantôt prussienne, allemande et française) et hormis les Flandres françaises de l’ancienne Gaule Belgica, la France n’a pas eu depuis cette tradition des betteraves fourragères creusées.

A ce propos et dans ce contexte socio culturel et historique je rapporte une anecdote mentionnant le dire d’une octogénaire du pays de Caux, en Normandie. Elle évoquait une tradition similaire de lumières le 31 octobre. C’est ainsi que durant près de 40 ans, cherchant d’autres témoignages cauchois suggérant une influence culturelle ancestrale, j’ai découvert cette histoire racontée par Simone Morgenthaler traduisant la trace d’une influence germanique plutôt que celte en Normandie du pays de Caux au Bessin.

Ainsi en dépit des idées reçues la tradition des betteraves creusées est une coutume germanique ancienne, quoique proche mais très distincte des pratiques celtiques, qui a influencé les célébrations modernes d’Halloween.  Elle témoigne des interactions culturelles entre Germains et Celto-Romains dans l’histoire européenne y compris en pays de Caux de l’ancienne Gaule Belgica puis romaine qui  subirent les raids (invasions ou migrations) dites « barbares » ou « germaniques », principalement ceux des Saxons et des Francs depuis la fin du 3e siècle.

La betterave creusée par Pascal Levaillant en pays de Caux où cette tradition avait aussi cours autrefois à l’approche de la Toussaint © P.Levaillant
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