Daniel Hamelin, un fou de radio

Daniel Hamelin au micro de France Inter © Photo Roger Picard

Adolescente, j’écoutais Daniel Hamelin, alors que je me préparais pour partir au lycée de Saverne. Il animait la tranche du 6h-9h sur France Inter en 1969. Ma préférence en ce temps-là allait plutôt vers les radios périphériques. Mais mon père aimait son émission et c’est ainsi qu’elle fit partie de mon horizon quotidien. Daniel mettait de l’entrain dans mon matin, avec sa bonne humeur, cette voix chantante, modulée avec justesse, ses rubriques dans lesquelles les boulangers de la France profonde offraient des croissants encore tièdes aux auditeurs. Totalement autodidacte, il avait commencé sa carrière à 19 ans, avec le soutien de Jacqueline Baudrier, PdG de Radio France, qui plaça sa confiance en ce franc tireur, venu dans la Maison de la radio en 1960, comme pompier, car il faisait alors son service militaire chez les pompiers de Paris.

Photo Roger Picard

Loin de moi l’idée de travailler un jour avec lui. Conscient que le bonheur se trouvait dans les provinces, et porté par un esprit pionnier, Daniel Hamelin proposait des opérations décentralisées, comme par exemple partir de Strasbourg en péniche, pour traverser la France d’est en ouest et rallier l’océan à Saint-Valéry-sur-Somme, en faisant chaque jour une heure d’émission en direct. J’étais pressentie pour animer l’émission avec lui. Et c’est ainsi que je l’ai rencontré en 1977 pour « la France côté jardins ». L’émission, diffusée sur les différentes régions traversées, exigeait des prouesses techniques: dès que la péniche s’arrêtait dans une ville, il fallait établir les liaisons pour la diffusion. J’ai animé l’émission avec lui sur la traversée du territoire alsacien. Ensuite, pendant un mois nous nous retrouvions tous les jours en multiplexe avec les autres régions. Le bouquet final eut lieu à Saint-Valéry-sur-Somme lorsque enfin la mer était ralliée.

Photo Roger Picard

Au contact de ce fou de radio, pétri de feeling, de spontanéité, d’omniprésence, j’ai retenu que la radio, c’était celle des auditeurs, non pas celle pour se faire plaisir. Il ne fallait penser qu’à l’auditeur, il était l’objet de toutes nos attentions. Pour l’auditeur, rien n’était jamais assez bon, ni assez beau.

Daniel proposa la même année, pour l’hiver 1977, une série d’émissions faisant sentir l’ambiance d’un village qui se prépare pour Noël. Ce fut « Le village retrouvé » en direct d’Eguisheim, où nous restâmes durant deux semaines pour présenter chaque jour, en direct, deux heures d’ émissions en direct de ce village haut-rhinois.

A cette époque, Daniel Hamelin présentait sur France Inter une émission quotidienne de jeux, basée sur la culture générale, destinée aux jeunes. L’émission s’appelait « les mordus » et, préenregistrée, était diffusée de 17h à 18h. Durant sa présence en Alsace, en décembre 1977, il me demanda de l’animer avec lui, puis de retour à Paris, il insista pour que je lâche l’Alsace pour venir à Paris, pour définitivement la co-animer avec lui. Je restaurais alors une maison en Alsace, de plus j’aimais ma région et n’avais nulle envie de vivre à Paris. J’ai refusé son offre. Il ne m’en tint pas rigueur.

Animateur adulé, Hamelin se lança dans la création de la première radio décentralisée, en Mayenne, dans une région à l’écart qui plébiscita cette radio régionale avec une fougue inattendue. Le succès fut tel que Jacqueline Baudrier nomma Daniel Hamelin « délégué aux actions nouvelles » puis « directeur des radios locales de Radio France ».

Les radios régionales furent créées en ce temps-là. Jusqu’alors, elles émettaient par décrochage 3 heures par jour, sur la longueur d’ondes de France Inter. Dès lors, elles obtinrent leur propre longueur d’ondes et allaient diffuser 24 h sur 24 h. Lorsque l’installation de cette radio se mit en route en Alsace, Daniel Hamelin me téléphona et me demanda d’en assurer la direction.

Je ne me voyais guère diriger une radio faite de collègues amis auxquels je devais annoncer des changements qui les froisseraient peut-être. J’aurais dû signifier à des « monuments » comme Dinah Faust, Marguerite Schussel, Pierre André et Jean-Paul Gunsett que leur temps était désormais révolu, ce dont je n’aurais jamais eu la force. Et puis, j’aimais faire de la radio. Je préférais rester au « front du micro ». J’ai donc décliné l’offre de diriger cette radio qui s’appelait en ce temps-là « Radio France Alsace ».

C’est Charlotte Latigrat, transfuge de France Culture qui en devint en 1983 la directrice, relayée en 1986 par Gérard Scheer, en 1989 par Michel Huth, en 1992 par Dominique Antoni et en 2002 par Daniel Deloit. La radio resta encore pendant huit ans à la Maison de la Radio, place de Bordeaux à Strasbourg avant de déménager en mars 1991 dans ses locaux actuels, au 4, rue Joseph Massol.

Je restais en contact avec Daniel Hamelin qui ne me tint pas rigueur de mon caractère têtu. Nous étions liées par une forte amitié. Il me téléphonait et nos conversations duraient au minimum une heure. Il me parlait de ses joies, ses peines, mais aussi des projets qu’il voulait encore voir aboutir, entre autres « Radio marine », une radio destinée à ceux qui sont en mer et qu’il ne pourra concrétiser. Originaire de Bretagne, passionné par les bateaux et la mer, attristé par la mise à l’écart radiophonique, il mit une croix sur son projet, partit en retraite un an plus tôt que prévu pour enfin vivre ses rêves de loup de mer. Il les vivra sur une courte durée.

Il est mort noyé en juillet 2001 à Saint-Malo. « Le temps n’est qu’un moment à penser », disait-il dans une interview diffusée en son hommage. Il faisait bon l’écouter. Il me fut difficile d’admettre que sa voix, si proche dans ce transistor, s’était éteinte, pour de bon.


Plus de précisions figurent dans le livre « Ces années-là…Mes souvenirs radio-télé »

La Nuée Bleue, 2004

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