Comment je suis entrée à la Maison Blanche grâce à ce chef alsacien de Virginie

Je suis entrée à la Maison Blanche, presque sans m’en rendre compte, entraînée par l’Alsacien le plus célèbre de Virginie, François Haeringer d’Obernai.

C’était en mars 2001. Six mois avant les évènements du 11 septembre.

Aux côtés de François Haeringer, son fils Jacques
 

François Haubtmann, qui travaille dans l’évènementiel à Strasbourg et réalise photos et films,   savait ma passion pour les Alsaciens d’ailleurs. Il me parla un jour de son oncle, François Haeringer, qui quitta Obernai en 1947 pour ouvrir un restaurant à Washington. L’homme était l’Alsacien le plus célèbre de Virginie. A 82 ans il continuait à assurer en cuisine où il dirigeait les équipes à la manière d’un colonel en dépit de sa petite et frêle taille.  Son restaurant L’Auberge  Chez François  à Great Falls, à une vingtaine de kilomètres de Washington avait  en partie pris feu  le 1er octobre 2000. François Haeringer n’ est pas homme à se laisser abattre. « Give me six months. J’ouvre à l’identique dans 6 mois. »

C’est à cette époque que je lui écrivis pour lui faire part de mon souhait de le rencontrer.  Il me téléphona rapidement début mars 2001 : Quand venez-vous ? demanda t »il.
J’avais prévu de me rendre à New York quelques semaines plus tard avec Hubert Maetz, le chef du Rosenmeer et suggérais de faire ensuite un crochet par Washington.

-Dites-moi le jour précis où vous viendrez. Je rouvrirai le restaurant ce jour-là.
Ne tenez pas compte de moi, cela me gêne.
Je vous demande le jour ! Alors, dites-moi le jour. Tout le reste c’est du bla-bla.
Je viendrai le jeudi 29 mars.
Bon.  Réouverture de mon restaurant ce jour-là ! Débrouillez vous pour être avant midi à Washington, ordonna François Haeringer.

Le train de New York via Philadelphie et Baltimore, entra en gare de Washington le jeudi 29 mars 2001 à 11 heures. François nous attendait avec Jacques, l’un des ses trois fils, dans sa Lincoln blanche. A 82 ans, il n’aimait toujours pas qu’on lui désobéisse.  « C’ est  moi qui commande. Ich fiehr ‘s Kommàndo« . Avec Hubert et nos conjoints, nous n’avons pas cherché à obtempérer. Direction Downtown, le centre ville de Washington. So, come on, on n’a pas de temps à perdre.  Je vous emmène d’abord  dans mon ancien restaurant à Washington. Il   s’appelle « Equinox ». A la vue de François Haeringer, le personnel fait des courbettes. Les clients le reconnaissent. Le chef  jaillit de la cuisine. Le maître d’hôtel fait des ronds de jambe.

Vous êtes une sacrée personnalité, lui dis-je.
Je m’en fiche, me répond-il avec un regard à la fois rosse et pétillant, ajoutant :  Ecoutez-moi bien : il faudra manger relativement vite et puis manger léger pour avoir à nouveau faim ce soir à 18 heures pour la réouverture de mon restaurant .

Il choisit pour nous : salade folle  et escalopes grillées. « C’ est bientôt l’heure de repartir. Allez les enfants, en avant ! Nous avons rendez-vous à 13 h30.»

L’homme à l’arrière qui nous attend est le chef-pâtissier de la Maison Blanche.
Dépêchez-vous ! dit François Haeringer à la grille arrière de la Maison Blanche.
 

Nous longeons par l’arrière la grille d’une belle demeure : c’est  la Maison Blanche  que nous approchons par l’East Executive Avenue,  nous avançons vers une guérite. Un garde en uniforme y est posté. A ses côtés, un homme au visage jovial en toque et en tablier blanc.

– Je vous présente mon ami Roland, c’est le chef pâtissier du White House. Il sera notre guide.
– Venez ! dit le chef pâtissier.

Le garde me rend mon sac à dos qu’il a  inspecté.

François  m’enfile un badge autour du cou. « C’est pour le faire établir que je vous ai demandé vos dates de naissance par téléphone», me glisse-t-il. Nous entrons à la Maison Blanche. Roland Mesnier, un Franc-comtois,  y est «executive pastry chef », chef-pâtissier depuis 20 ans. C’est dire s’il connaît les lieux et les hommes qui y gravitent. Il a servi 5 présidents : Carter, Reagan, Bush, Clinton et Bush encore, junior cette fois. Son visage aimé déclenche de joyeux « Hi, Mister Roland, how are you  ?» de la part du personnel que nous croisons.

Je m’attendais si peu à me retrouver à la Maison Blanche, si simplement, si facilement. Les réflexes journalistiques me reviennent : prendre des notes et quelques photos, juste pour fixer ces instants.

La bibliothèque de la Maison Blanche, l’endroit que Roland Mesnier préfère.
 

Au rez-de-chaussée, Roland Mesnier nous emmène  dans le salon ovale, belle salle de réception  nommée Diplomatic reception room, reconnaissable entre toutes avec ses «vues de l’ Amérique du Nord ». Ces panoramiques de papiers peints  proviennent des établissements Zuber à Rixheim. Jackie Kennedy les avaient dénichés chez un antiquaire.  Nous voici maintenant dans le  China room  qui comporte en de vastes vitrines la vaisselle que les présidents se font offrir lors de leurs voyages officiels.

– On va éviter le premier étage car  une conférence de presse y aura lieu. Jetons un œil tout de même.

Des caméras y sont installées, le service de sécurité veille.

Venez, je vous montre les salles à manger : là, le « State dining room », ici le  « Red room ». Voici le « Blue Room », salle à manger bleue, c’était la préférée de Hillary Clinton , là, le « Red room », et enfin, « l’East room »,  qui est la plus grande salle à manger, tout en blanc avec des rideaux or. Çà, c’est la salle de cinéma privée du président. Et là, la bibliothèque qui est mon endroit préféré. Si j’étais président, c’est là que j’irais le plus souvent. Là- bas, c’est le bureau ovale, on ne peut pas y entrer. Georges W. Bush  s’y trouve avec Gerhard Schröder. Mais venez dans ma pâtisserie, nous allons manger leur dessert, enfin ce qui reste. Je prévois toujours plus grand.

Le chef Hubert Maetz fait partie de notre groupe guidé par Roland Mesnier,
le chef pâtissier de la Maison Blanche originaire du Doubs.
A droite de François Haeringer : Isabelle Maetz.

Exquis le dessert du jour du président  et du chancelier : macarons au citron , sablés recouvert d’un glaçage au chocolat , sablés à la groseille et cookies moelleux.  Ouvrons une bouteille de champagne ! C’est un honneur de vous revoir, François, dit Roland Mesnier.

Nous buvons du champagne et mangeons les pâtisseries préparées pour Georges W. Bush et Gerhard Schröder par Roland Mesnier. Le chef-pâtissier fut  à la Maison Blanche de 1979 à 2004 , au service de Jimmy Carter, Ronald Reagan et George W. Bush.

Le chef de cuisine de la Maison Blanche, Walter S. Scheib, sur le point de faire sa pause, est impressionné de voir François Haeringer. François inspecte les lieux. Rien n’échappe à son œil vigilant. Dites-donc, les joints des carrelages laissent à désirer, il faudrait les refaire, parlez-en à votre PrésidentYes Sir, s’empresse de dire le chef  de la Maison Blanche. » Je  prends à la sauvette une photo. Je dois me pincer pour croire que je ne rêve pas.

Avec le chef de la Maison Blanche, Walter S. Scheib,
très impressionné de voir le « grand » François Haeringer qu’il appelle « Sir ».
 

Notre guide en toque blanche nous emmène au sous-sol, là où se trouve la piscine du président, puis dans la salle de bowling. Et là, c’est l’atelier floral où travaillent nos trois fleuristes.   Nous nous avançons maintenant vers les jardins . Les magnolias sont en fleurs. Des parterres de pensées bleues leur donnent la réplique. C’est là, dans ce jardin conçu par Jackie Kennedy que nous nous disons au revoir. N’attendez pas des années avant de revenir, François, et restez en forme. Vous rouvrez ce soir, n’est-ce-pas ?

L’Auberge « Chez François » est à 15 miles de Washington, sur un hectare de prairies et de fleurs, dans une campagne très verte. Nous sommes dans le comté  de Fairfax, le plus riche des Etats-Unis. Les  employés applaudissent à l’arrivée du patron, émus de vivre la réouverture du restaurant.  Ils sont 80 dont 15 en cuisine. Sa femme est là, ainsi que ses deux autres fils, Paul, responsable de la salle et Robert qui s’occupe de l’intendance.«Ici, c’est l’ Alsace », me dit François. Les serveurs sont en gilets rouges, les nappes sont alsaciennes, ainsi que les rideaux,  les tableaux, les cuivres, les moules à kugelhopf. Les marqueteries sont de Spindler et figurent Obernai.  J’ai créé cette auberge il y a 25 ans. Depuis 54 ans, j’engrange des objets alsaciens en Amérique, précise François.

Tour de cuisine sous le regard inquisiteur de Mister Haeringer.
–  Is everybody ready ? (Tout le monde est prêt?), questionne François Haeringer
Yes, sir !
– C’est reparti ! ajoute François.

Le repas fut pantagruélique. Et j’admirais la curiosité culinaire de Hubert Maetz qui fit honneur au défilé de saveurs. Au moment des séparations, François m’a  dit : « Il me restait un champ à Obernai, je l’ai vendu, je le regrette. »

Il suffit d’ en racheter un, lui ai-je suggéré.
Je ne reviendrai pas en Alsace, m’a dit François, cachant difficilement son émotion.

Extrait de mon livre « Ces années-là » (La Nuée Bleue)

Nota

François Haeringer n’est plus revenu en Alsace après cette rencontre de 2001. Il est décédé en juin 2010 à 91 ans.

François Haeringer et sa femme Marie-Antoinette, une Basque de Saint-Jean-de- Luz, avec deux de leurs fils et leur neveu alsacien, François Haubtmann (l’homme à lunettes)
 

L’Auberge Chez François existe toujours et reste l’une des préférées des en Virginie. Elle est aujourd’hui dirigée par les fils de François Haeringer, notamment par Jacques qui, à côté de son métier de chef, continue à aimer jouer de la batterie. Il est resté fidèle à l’Alsace où il revient régulièrement.

Il y eut, 6 mois après ce séjour de mars 2001, les évènements du 11 septembre. Avec le chef de l’hôtel-restaurant Rosenmeer Hubert Maetz, nous nous étions rendus au sommet des Twin Towers. Pour la première fois depuis mes diverses visites, il y avait si peu de vent à cette altitude qu’il nous fut permis ce jour-là, d’aller sur la plate-forme supérieure ouverte à tous vents. Les photos faites à cet instant me bouleversent lorsque je les revois : difficile d’imaginer que ces hauteurs furent décimées par un avion venu s’y emboutir.

Roland Mesnier a fait valoir ses droits à la retraite et a quitté la Maison Blanche en 2004. Sa vie est contée dans le livre qu’il a co-écrit avec Christian Malard : Sucré d’état : Mémoire du pâtissier français de la Maison Blanche, J’ai lu, 2006.

Christian Malard et Lauren Chattman ont également réuni les recettes de Roland Mesnier dans le livre  Roland Mesnier’s Basic to Beautiful Cakes, Simon & Schuster,2007

Il existe un autre livre paru aux USA contenant les desserts de Roland Mesnier :  Dessert University: More Than 300 Spectacular Recipes and Essential Lessons from White House Pastry Chef Roland Mesnier, Simon & Schuster, 2004.

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