« Zuckersiess »

La série « Schmecksch de Bouchon » démarrée en septembre 1992, produite par Jean-Marie Boehm et pour laquelle j’étais présentatrice avec Pierre von Werlof, s’arrêta brutalement en janvier 1993, pour des raisons indépendantes de ma volonté. Afin que l’antenne soit néanmoins alimentée, les émissions jusque-là enregistrées furent rediffusées jusqu’à la fin de la grille de juin 1993. Je me retrouvais donc sans emploi à partir de cette date. Passé le premier choc et le constat renouvelé de la difficulté d’être une « cachetière », je décidais de mettre ce temps devenu vacant à profit par l’écriture du livre « Les meilleurs desserts d’Alsace ».

L’idée était de réunir les desserts les plus marquants, d’en écrire la recette, mais aussi leurs histoires, mes souvenirs intenses liés à eux avec des photographies de Marcel Ehrhard. Pour la réalisation de ces photos, je cherchais un maître pâtissier qui exécuterait les desserts pour les prises de vue. Il s’agit là d’un travail ardu car, lorsque le stylisme et l’éclairage sont prêts pour la photo, il faut apporter le dessert. Marcel, très méticuleux, préfère souvent choisir entre trois versions du dessert en question. Ce qui, pour un livre de 50 photos, représente la confection de quelque 150 desserts. Pour que la photo soit alléchante, il faut que le dessert soit fait en dernière minute. C’est donc un travail réel fait de patience que j’ai proposé à Christophe Meyer.

Christophe Meyer, le patron de la Pâtisserie Christian à Strasbourg, qui fut un merveilleux complice durant deux ans, m’a mis dans les mains un petit fagot très parfumé : des gousses de vanille Bourbon, sa préférée et l’unique qu’il utilise.

J’appréciais l’éclectisme du jeune patron de la pâtisserie Christian à Strasbourg, sa faculté d’adaptation rare qui témoigne d’un esprit ouvert et équilibré, et sa promptitude à s’enthousiasmer. Lorsque le livre fut à son point d’achèvement, je demandais à Jean-Louis English, nommé directeur un an plus tôt, si France 3 Alsace souhaitait en être partenaire. Il en convint et il fut décidé que le livre paraîtrait en septembre, avec le sigle de la station régionale.

J’avais imaginé pendant l’écriture du livre que sorte en parallèle une série télévisée liée à cette palette de desserts, série que j’intitulerai Zuckersiess (« tout sucre tout miel »). L’idée consistait à faire découvrir chaque semaine un Alsacien, ou une Alsacienne célèbre ainsi que le dessert favori de son enfance. J’avais opté pour les Alsaciens célèbres, pour une raison majeure. Je voulais que l’émission soit alimentée en images, car simplement montrer une recette ne m’a jamais captivée. Or le tournage de reportages revient cher. Et le mot d’ordre à cette époque était déjà d’économiser au maximum.

Je savais que pour mes Alsaciens célèbres je trouverais des séquences en archives à la cinémathèque. Je fis la proposition en juin 1993 à Jean-Louis English et à son directeur des programmes, Hubert Schilling. Ils acceptèrent le projet. Il me fallait trouver le pâtissier qui serait mon acolyte. L’émission était prévue comme une dialectale et je regrettais que Christophe ne parle pas l’alsacien. Il le comprenait parfaitement, mais comme beaucoup de personnes, répondait en français. Et pourquoi ne pas faire l’émission avec lui en un joyeux entrecroisement de langues ? Je parlerais en alsacien, il me répondrait en français. Il saisissait de cette langue les plus fines astuces et ne demeurait jamais en reste pour avoir de la répartie. Les francophones furent ravis de cette alternative, les dialectophones se montrèrent souvent agressifs, m’arrêtant dans la rue pour m’expliquer en…français qu’il leur paraissait inadmissible que mon interlocuteur me réponde en français.

J’eus grand plaisir à faire cette émission de 26 minutes. La série dura deux ans, de septembre 1993 à juin 1995. Elle fut réalisée sur toute sa durée par Michel Broggi. Les quatre invités qui ouvrirent le feu furent Roland Kieffer dit « Scholle », le comédien pour lequel nous préparâmes un gâteau de santé, le chanteur Pierre Schott pour la tarte aux mirabelles, le pasteur Freddy Sarg pour le gâteau au chocolat et Dinah Faust pour la tarte aux quetsches. L’émission accueillit des hommes et des femmes de tous domaines. Pierre Pflimlin, Tomi Ungerer, Herbert Léonard, Roger Siffer, Albert Gemmrich, le footballeur, Pierre Kretz, avocat, écrivain et homme de théâtre, Michel Hausser, le vibraphoniste, accordéoniste et organisateur du festival de jazz de Munster, les écrivains Claude Vigée et Alfred Kern, et les peintres André Bricka et Camille Claus, Liselotte Hamm, Sylvie Reff, Cathy Bernecker et la vigneronne Cécile Reibel. Et bien d’autres : 90 au total.

Les cinémathécaires, Marie-France Huber et Christiane Durry, m’aidèrent dans la recherche d’anciennes séquences qui donnaient des bouffées d’émotion à l’invité. Je repense au visage de Tomi Ungerer au moment où il vit les images tournées en Irlande, extraites de l’émission « A angle droit » de Freddy Ruhlmann, réalisée par Bernard Kurt en 1981. De voir ses enfants encore petits marcher avec leur maman Yvonne le long des vagues, le chien les précédant, fit surgir des larmes au coin de ses yeux. Jean-Claude Zieger m’apporta aussi son aide précieuse : il restaurait alors les premières images de la télévision régionale, tournées en film, et qui végétaient dans des armoires au sous-sol.

Dans l’émission « Zuckersiess », une séquence nous faisait feuilleter l’album photo de l’invité. Et ce que j’avais conçu pour pallier les manques de moyens s’avéra donner des moments remplis d’émotion et de tendresse. Mes invités montraient les photo sépia qui révélaient leur visage de bébé, tout comme les visages de leurs parents, grands-parents et proches.

Le visage de toute personne devient beau et détendu, il irradie une expression attractive, dès lors qu’il peut se ressourcer à des moments aimés de l’enfance. S’il s’ajoute la confection du dessert de son enfance, c’est une conjugaison qui aboutit souvent à une alchimie proche de la magie.

 

Plus de précisions sur l’univers de la radio et de la télé sont à lire dans mon livre « Ces années-là… mes souvenirs radio-télé »La Nuée Bleue, 2004)

Les émissions évoquées sont conservées par l’INA.


Les articles sur mes invités sont archivés aux DNA.

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