Soleil de février

Je reconnaîtrai toujours la ligne bleue des Vosges. Il faudrait dire « les lignes » tant les courbes douces sont plurielles. Ces courbes ont constitué mon horizon d’enfance. Il suffisait de marcher dans la vaste forêt, d’arriver sur une hauteur et de voir les sommets qui se donnent la main en portant sur les cimes et la plaine leurs regards de veilleurs bienveillants.

La photo est prise depuis la tour du Brotsch. Là, le regard peut s’évader loin et tout à la ronde. Mon regard en cet instant est allé vers la Lorraine, vers Dabo, vers la Hoube, vers ces communes mosellanes que je percevais, de ma commune d’enfance, Haegen, comme sœurs. Par la forêt, trois heures de marche nous séparaient . Nos retrouvailles étaient heureuses. Notre langue maternelle à l’accent identique se déliait en invectives, en rires, en anecdotes narrées.

Mon père livrait ses sculptures sur bois au menuisier du village de la Hoube, qui était aussi bistrotier. J’aimais l’odeur de la bretzel, de ses grains de sel que les gorgées de limonades rendaient effervescentes. J’aimais l’amitié sincère qui émanait des sons, des mots émis. Cette amitié d’une région à l’autre, de l’Alsace à la Lorraine, avait, à mes yeux d’enfant, la rondeur des sommets vosgiens, faits de courbes, de quelques croupes de femmes allongées, comme les décrit Gaston Jung dans un de ses poèmes.

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