Série « Numerodaffet »

Numerodaffet, des reportages sur des passionnés
(1988 à 1991)

Cette expression Numerodaffet qui signifie « numéro taffetas » désignait autrefois un beau tissu, puis par déformation quelque chose de chouette, « de premier choix ». Je donnais ce titre à une série consacrée à des hommes et des femmes sortant de l’ordinaire, des allumés authentiques, sachant bien parler l’alsacien. La série, acceptée par Georges Traband et Christian Winterhalter en 1988 me fit découvrir un nouvel aspect du métier : celui de naviguer seule, sans réalisateur.

Une fois la prise de contact et le repérage effectués, je partais avec un cameraman, un preneur de son et un éclairagiste pour tourner le reportage. Il n’y avait pas de réalisateur sur cette série, ce qui augmentait mes responsabilités et mes prérogatives. C’était presque toujours le même trio qui m’accompagnait : Jean-Pierre Detzel, excellent caméraman, qui m’a prodigué des conseils justes pour avancer dans cette voie, Théo Kessler pour la prise de son et Lambert Baur (parfois remplacé par Nelly Gojean) pour l’éclairage.

Photo de presse pour la série Numerodaffet @ Jean-Claude Hatterer- Bleu Comm

Nous traversions l’Alsace avec une 404 Peugeot commerciale. Mes trois compagnons fumaient toutes vitres fermées et j’étais imprégnée jusqu’à la peau par l’odeur de fumée. Je leur pardonnais, car j’aimais travailler avec eux. Jamais ils ne rechignaient à la tâche. Nous nous entendions bien, ce qui est essentiel. Les tensions en un petit microcosme peuvent rendre une journée de tournage irrespirable.

Lorsque le tournage était achevé, il fallait procéder au montage. J’étais confrontée à une autre nouveauté : me retrouver au banc de montage, seule, avec le monteur, sans l’assistance du réalisateur. Le montage est une opération longue qui exige une grande patience. On comptait une journée pour monter un sujet qui en finalité faisait trois ou quatre minutes. Lorsque le sujet passe, il semble naturel, il coule, on ne se doute pas que tant d’heures de travail se cache derrière cette fluidité.

Il faut, après visionnage des cassettes, décider des passages qui seront gardés pour l’image, ceux qui seront gardés pour le son, il faut décider de l’agencement des séquences, des endroits où l’on placera éventuellement de la musique, ceux où l’on créera des effets : de ralenti, d’arrêts sur images etc. Ces heures côte à côté rivés à un banc de montage, peuvent parfois engendrer des tensions. L’atmosphère peut vite devenir irrespirable. J’ai croisé plus d’un duo réalisateur-monteur se crêpant le chignon.

La salle de montage est aussi celle qui révèle des surprises, autant bonnes que mauvaises : on ne sait jamais à l’avance comment deviendra un sujet. On rentre de tournage convaincu qu’on tient un reportage du tonnerre. On se rend compte lors du visionnage des cassettes que l’effet n’est plus le même que celui ressenti lors du tournage. D’autres sujets dont on n’attendait rien deviennent superbes. Rien n’est jamais acquis dans ce métier, où des hommes veulent transmettre du vécu aux hommes avec, entre les deux, le prisme de la caméra et les aléas de la vie. Le reportage n’est pas une science. Il fonctionne sur l’intuition. Il revêt toujours une part d’inconnu.

Pour ma première expérience de montage, je me suis retrouvée avec Jean-Claude Durmeyer. Je n’avais jamais travaillé avec lui. J’entendais parfois son rire aigu, communicateur qui passait les murs. Je lui ai d’emblée avoué mon ignorance en matière de montage.
Mach d’r nix drüss (t’en fais pas) m’a t-il dit avec un accent typé.
– Tu viens d’où ?
– Je suis de Saint-Louis-lès-Bitche, en Lorraine.

Il avait une formation de photographe et avait travaillé pour le parc régional des Vosges du Nord avant de solliciter un emploi à France 3 Alsace où, par pénurie de monteurs, il fut embauché et il assimila avec dextérité le métier après quelques semaines de stage à Paris.

J’ai aimé travaillé avec lui : il « sentait » quelle forme donner à un reportage, il était prêt à oser les plans les plus fous. Mìt dìr kennt ich Rësser stahle, disais-je (avec toi j’irais jusqu’à voler des chevaux). Il fait partie de ces gens positifs qui simplement aiment leur travail et font toujours leur possible pour faciliter celui des autres. Tant et si bien que je demandais à faire le montage « avec lui si possible ». Je n’ai pas travaillé qu’avec Jean-Claude. Je me suis aussi enrichie au contact d’autres monteurs: Marie-Odile Coulet, Anne-Marie Belguise, Anne Gigleux, Jean-Paul Herzog, Guy Lévi et d’autres.

La série Numerodaffet s’est arrêtée en 1990. J’eus encore affaire aux monteurs pour la série suivante Zuckersiess pour laquelle j’utilisais des extraits d’archives. Jean-Claude Durmeyer avait décidé d’arrêter le montage pour se former à la caméra et devenir JRI (journaliste reporter d’images). Ses connaissances en photos et en montage constituaient le cocktail idéal pour tourner les plans les meilleurs : beaux, justes, faciles à monter. A partir de là, nous n’avons plus travaillé ensemble. Je restais réceptive à sa façon d’être et de faire. Lorsqu’un sujet filmé par lui passait à l’écran, je devinais souvent sa signature, sans qu’elle y figure.

Plus de précisions sur l’univers de la radio et de la télé sont à lire dans mon livre «Ces années-là… mes souvenirs radio-télé» La Nuée Bleue, 2004

Les émissions évoquées sont conservées par l’INA

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