Les saisons de mon enfance

Je m’en souviens avec netteté : cela se passait un mardi de février. Le vent soufflait fort. La journée était classée orange. Je n’ai pas pris, comme d’habitude, le vélo pour couvrir les dix kilomètres et me rendre à mon travail. Des rafales de 140 kilomètres à l’heure étaient annoncées. Aussi me suis-je réfugiée dans mon auto. C’est au retour, sur l’autoroute, en étant dans cet état de non-réflexion, d’apesanteur mentale, que l’idée me vint d’écrire sur des fractions d’enfance pour les faire affleurer à ma mémoire comme des invasions lumineuses. Était-ce la dureté des mois derniers qui me poussa vers cette voie apaisante ? Est-ce d’être écorchée vive en mon for intérieur qui me rendit si sensible, si proche cet état de grâce ? Je ne me suis plus posé la question. J’ai écrit, portée par ma houle de mots. Je savais qu’il ne fallait pas perdre de temps car l’inspiration s’enfuit si on ne se hâte de s’aligner sur son sillage. Je savais que cette grâce de revivre avec fulgurance des moments d’enfance et de les faire revivre sur le papier ne se reproduirait pas souvent. Des mots en alsacien, ma langue maternelle, éclosaient dans ma tête et faisait naître, comme un geyser, de courts textes en français qui, naturellement, prirent place dans la quadrature des saisons.

Extrait
Eté
«Sommer»

Tu as pour mission de cueillir les dernières cosses de petits pois. Tu le fais sans regret, car vers le solstice d’été ils cessent d’être tendres. Tu regardes leurs vrilles s’accrocher autour des branchages. Tu as pour mission de les en détacher et tu ne cesses de penser que ces vrilles sont comme des bras de bébés, de drôles de petits bras en forme de spirales vertes qui veulent rester accrochés à l’arbre maman. La fenaison se termine. Papa martèle la faux à un rythme régulier et, des cours voisines, les mêmes sons s’envolent et se télescopent. Vers Saint-Jean, les jours sont longs et lumineux. La vie déroule ses prairies sans horizon. Elle est infinie.

Brioche de 14 juillet
«Quatorze Juillet Wecke»

Le jour férié sent l’été. Il a la couleur du drapeau. Il est surtout lié au souvenir fort de la brioche offerte ce jour-là par la commune à ses enfants pour fêter la république. L’école est finie depuis deux semaines mais, à quatorze juillet, tu retournes avec les autres élèves dans la salle de classe et c’est étrange de s’y retrouver en été, sans cartable, sans cahier, sans trousse, dans cette odeur aimée qui fait aussi un peu peur. C’est déroutant d’être seulement de passage pour recevoir en cadeau une brioche ovale, légèrement entaillée au centre, accompagnée d’une barre de chocolat. Ces brioches arrivent dans une grande corbeille et après la distribution, la maîtresse donne le feu vert pour le ramassage des pommes de pin à engranger en son grenier. Les vacances sont grandes et septembre est si loin. Tu as l’impression qu’une plage si longue, si foisonnante de vie s’étale devant toi, que tu inspires vite, par bouffées courtes, pour apaiser les saccades de joie qui se heurtent contre tes flancs.

À lire aussi : l’article de Françoise Urban-Menninger

Le livre peut être acquis par la boutique Internet de la Nuée bleue :

https://www.lelivrechezvous.fr/editions-la-nuee-bleue/temoignages/les-saisons-de-mon-enfance.html

Les saisons de mon enfance (La Nuée Bleue)

print