La presse écrite avant la radio

Le journal Les DNA, fut mon premier employeur. J’y ai travaillé pendant mes études de journalisme, durant l’été, dès 1973. En 1975, j’y fus embauchée et j’ai fait le tour de différents services : les informations régionales (avec Jean Lozi), locales (avec Marie-Thérèse Gassert) et même sportives (avec Jacques Granier). Je réalisais au bout de quelques mois que la presse écrite, pour laquelle je m’étais pourtant spécialisée, ne m’apportait pas la satisfaction escomptée : tant d’énergie investie dans un article qui ne durera que quelques heures. Je décidais de frapper à la porte de la Maison de la radio et de la télévision, place de Bordeaux à Strasbourg, consciente que j’allais vers un univers qui me terrifiait, mais mue par l’envie d’essayer.

C’est Jacques Taroni qui me mit le pied à l’étrier au printemps 1976 : il fallait, pour Gilbert Hanin qui animait la tranche du dimanche de 9h à 12 h, être en reportage en direct de divers endroits de Lembach, un village près de Wissembourg. Le premier lieu vers lequel je me suis rendue fut le restaurant du Cheval Blanc. Je suis entrée dans la cuisine et me suis dirigée vers Fernand Mischler. Celui qui devint plus tard président des Étoiles d’Alsace était à l’époque un jeune homme discret peu enclin à s’exprimer au micro. Ce dimanche-là, je crus bien défaillir tant le trac me tenaillait. L’émission me parut calamiteuse. Jean-Paul Gunsett et Jacques Taroni n’étaient pas de cet avis.

Jacques Taroni, peu avant qu’il ne quitte la radio régionale pour devenir réalisateur à France-Culture -Photo Jean-Claude Zieger

Martin Allheilig, le directeur des programmes de la radio et de la télévision, me confia un projet. Il lui tenait à cœur de créer une émission radio en alsacien proche des auditeurs, dans laquelle on leur souhaiterait les anniversaires de naissance et de mariage, tout en diffusant leur disque préféré. L’émission devait être diffusée sur l’émetteur des ondes moyennes, de midi à midi 20, avant la « Petite anthologie sonore de la poésie dialectale » que proposait Huguette Drach .

Le concept était simple. L’émission se mit en place sous quinzaine, en septembre 1976. Il fallait trouver un indicatif. J’ai rapidement rédigé quelques rimes : Geteildi Freid isch doppelti Freid, Geburtsaaskinder hitt gibt’s ken Leid, bi uns isch alle Daa Feschtdas, bi un gibt’s luschtigi Geburtsdaa. (Joie partagée est joie multipliée, ce jour doit être sans nuages. Chez nous, chaque jour est un jour de fête). J’ai donné ce texte à Maurice Duflot (qui devint plus tard directeur de Maeva, une agence de marketing et de communication) qui, encore étudiant à l’époque, faisait la manche avec sa guitare dans les Winstubs sous le nom de Mat’s. Il avait 24 heures pour composer une musique. L’indicatif fut enregistré le lendemain. Maurice était à la guitare et chantait avec sa sœur.

L’émission connut un succès surprenant : en moins d’un mois, je fus submergée par un courrier tel que je n’arrivais presque plus à le maîtriser : parfois plus de 100 lettres par jour ! Il devenait difficile de citer toutes les personnes et surtout de diffuser leur vœu musical. La tranche de 20 minutes n’y suffisait plus. Le dimanche, nous remplissions une heure, mais nous aurions plus remplir trois heures d’antenne chaque jour si nous avions voulu diffuser les disques demandés.

Nous étions toute une équipe d’animateurs à présenter « Unseri Geburtdaaskinder » : Emilienne Kauffmann, Monique Seemann, Claire Immele, Patricia Mertz, mais aussi Jean-Luc Baechler, qui travaille aujourd’hui comme régisseur de théâtre ou Elisabeth Best, alors comédienne du cabaret Barabli de Germain Muller. Et Christian Hahn m’a confirmé s’y être collé aussi. Lorsque Huguette Dreikaus rejoignit la radio en 1985 (du temps où Charlotte Latigrat la dirigeait et que Jean-François Dolisi en était le directeur des programmes), elle présenta aussi de temps à autre cette émission tout en assurant ses chroniques D’Léonie vo Klapperschlappersche et ses sketchs pour « Arrache-moi la jambe », l’émission dominicale de Roger Siffer et de l’équipe de la Choucrouterie. Même Patricia Weller anima l’émission, bien avant qu’elle co-anime avec Didier Poux, une émission décapante, faite de pep et de culot diffusée de 17 h à 19h, et bien avant qu’elle ne créée le personnage de Marlyse Riegenstiehl que tant d’Alsaciens plébisciteront.

L’émission « Bon anniversaire » s’est arrêtée en été 1992. Nonobstant son aspect gentillet, elle fut riche d’enseignement, en géographie entre autres. Il fallait savoir situer chaque village, préciser par exemple, « Sewen en vallée de Masevaux », ou « Siewiller en Alsace Bossue ». Il fallait aussi savoir prononcer le nom du village en alsacien, le prononcer avec justesse, comme si vous étiez du village. Cela touche l’auditeur au plus profond. Aujourd’hui encore, je reste pétrie par ces années « Bon anniversaire ». Je sais que Bernardswiller se dit « Batschwiller », Ribeauvillé « Rappschwihr », Nordhouse « Nards », que Geispolsheim-Gare se dit « Kratz » etc.

Jean-Pierre Schlagg, à droite, en 1977, du temps où il formait avec Christian Winterhalter le duo « d’Scheligemer »-Photo Jean-Claude Zieger

Parallèlement à cette émission, j’ai aussi proposé en 1976 de faire un duo quotidien avec Jean-Pierre Schlagdenhauffen. Il n’était pas encore le comédien et l’homme de spectacle qu’il devint sous le nom de Schlagg, mais toutes ces facettes étaient en lui, et il me faisait me tordre de rire. Jean-Paul Gunsett et Jacques Taroni acceptèrent le projet. Nous animions la tranche 9h-10h sur « Alsace Matin », en modulation de fréquence, à partir de l’automne 1976. A cette époque-là, les décrochages avaient lieu de 9 h à 12h30, sur la longueur d’ondes de France Inter (97,3 dans le Bas-Rhin et 95,7 dans le Haut-Rhin). Notre émission irradiait la bonne humeur. Jean-Pierre était d’une drôlerie irrésistible. La tranche comportait une rubrique culinaire intitulée « Kriz un queer durich ‘s Kichekanschterle » (« Par le buffet de cuisine à toute berzingue »). L’émission était bilingue, français-alsacien.

Bon vivant, passionné par le bien manger, Jean-Pierre m’emmenait régulièrement dans son fief schilikois. Il me présenta Ernest Wieser, un chef qui tenait le restaurant « A l’Ange » à Schiltigheim, chez lequel il mangeait régulièrement et qui acceptera neuf ans plus tard, en 1989, de présenter avec Louis Fortmann et moi la série télévisée « Kichespring ».

Jean-Pierre souhaita arrêter l’émission radio après quelques mois car il avait du mal à tenir le rythme : il travaillait de nuit à la SNCF, il donnait des concerts avec le groupe « d’Scheligemer » dont il était le chanteur avec Christian Winterhalter. Et il lui fallait être en forme au micro dès neuf heures du matin. C’était beaucoup pour un seul homme.

Premières émissions radio avec Ric Alban, ici en septembre 1977, au studio 12 de Radio Alsace, place de Bordeaux, du temps où la radio appartenait encore à FR3 Alsace. Notre duo en émission quotidienne durera 5 ans.

Ric Alban prit sa succession. De son vrai nom Alban Pottier, il venait de Laval, dans la Mayenne et il avait pratiqué, dans l’Ouest de la France, des animations de toutes sortes : casinos, supermarchés, galas, fêtes de villages. Il était un passionné du tiercé et de tous les jeux, qui lui rapportèrent parfois de coquettes sommes, qu’il dilapidait rapidement et avec joyeuseté.

Bateleur doué, il avait une faconde très aimée des auditeurs. Notre duo de deux heures d’antenne quotidienne a résisté cinq ans, ce qui est un exploit, car le travail en duo oblige de se concentrer en permanence sur son acolyte, ce qui est vite usant nerveusement. Comme Ric était francophone, nous avions inclus dans l’émission un petit cours d’alsacien quotidien d’après la méthode mise au point par la dialectologue Elsa Laugel. Les auditeurs raffolaient de cette rubrique. Ric affichait clairement et avec humilité sa méconnaissance de la région mais aussi sa volonté d’apprendre qui faisait craquer les auditeurs.

Nous avions souvent la visite en studio de l’Antillais Georges Rosier-Coco. Il chantait déjà, mais était encore militaire de carrière à Colmar avant de faire le « grand saut » et vivre de la chanson. Ma mémoire a aussi retenu avec grande précision l’émission qui eut pour invité dans les années 80 Alain Chamfort et celle avec Jean-Claude Vannier, auteur-compositeur-arrangeur-chanteur de grand talent qui passait alors au café-théâtre de l’Ange d’Or. Et je repense à Tino Rossi qui vint dans l’émission pour présenter son « Hymne à l’Europe » en 1980. Ric Alban eut un excellent contact avec Tino. Il connaissait son répertoire par cœur et lui chantait ses chansons apprises dans l’enfance de sa mère. L’ambiance de l’émission convint à Tino qui revint trois matins d’affilée pour l’animer avec nous. En 1977 et en 1978, nous cotoyions Philippe Abiteboul qui co-animait deux magazines avec Nicole Honold. Entré comme journaliste à France Inter en 1981, il fut nommé rédacteur en chef adjoint en 2000 et il présente le week-end les journaux de 13 h de France Inter.

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En 1978 le studio 12 de Radio Alsace, place de Bordeaux à Strasbourg, est en réfection. Nous nous replions provisoirement au studio 11. En compagnie de Ric Alban et d’une auditrice dont j’ai oublié le prénom, qui se reconnaîtra peut-être.

J’ai animé avec Ric Alban diverses séries estivales. L’une d’entre elles nous a emmenés à travers l’Alsace dans un vieux bus anglais à étage, un « oldtimer », aménagé en studio-radio et depuis lequel nous émettions chaque jour d’une autre commune. Une autre année, nous émettions chaque dimanche depuis un bateau. Ce bateau était le premier que venait d’acheter Gérard Schmitter. Potier originaire de Betschdorf, Gérard Schmitter créa ensuite avec CroisiEurope la plus grande flotte européenne de croisières fluviales. Nos émissions radio n’étaient bien sûr pour rien dans cette fulgurante ascension. Gérard Schmitter a bâti son empire à la force de son poignet, en se fiant à sa fibre terrienne, à son intuition et à son esprit d’entreprise. Son premier bateau n’avait pas la taille et le luxe des 27 qui composent aujourd’hui la flotte, qui font découvrir, entre autres, Venise, la Belgique, la Hollande, le Portugal, la Hongrie, le Vietnam, l’Andalousie et l’Afrique.

L’unique bateau que possédait Gérard Schmitter en 1977 avait été acheté d’occasion à Heidelberg. Baptisé « Strasbourg I », il assurait le dimanche des promenades-repas entre Strasbourg et Neuf Brisach. Il fallait contourner de sérieuses difficultés techniques pour émettre depuis un bateau qui se déplaçait, car les ondes, pour se répercuter, ont besoin d’un émetteur.

Mon duo avec Ric Alban s’est arrêté en 1981, lorsque je partis en congé de maternité. C’est Anne-Marie Wimmer qui me remplaça. Ric entreprit en 1982 un tour de France des radios et connut quelques traversées de désert avant de revenir en Alsace où il fit des animations d’émissions, de magasins et de fêtes. Il est désormais à la retraite.

Plus de précisions sur l’univers de la radio et de la télé sont à lire dans mon livre « Ces années-là… mes souvenirs radio-télé » (La Nuée Bleue, 2004)

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