La bruyère me rappelle Maman et Victor Hugo

Maman aimait la bruyère que la forêt nous donnait en abondance à partir de la mi-août. Elle aimait ces bouquets car ils ne nécessitaient pas d’eau dans le vase et ne risquaient donc pas de faire des auréoles sur les meubles en bois.

En alsacien la bruyère s’appelle d’Heid. Ce mot désigne aussi la lande comme c’est aussi le cas pour le mot allemand Heide. En anglais la bruyère se nomme heather, un mot qui est aussi un prénom féminin.

Bruyère photographiée sur la montée vers le Donon © S. Morgenthaler

Maman avait retenu tous les poèmes appris à l’école communale et pouvait les réciter par coeur jusqu’à la fin de sa vie.

J’associe la bruyère à ce poème de Victor Hugo car il évoque cette fleur d’automne que le poète marie aux feuilles de houx pour un bouquet comme aucun fleuriste jamais n’en proposera : le bouquet qu’un père aimant, écorché par un chagrin infini, va poser sur la tombe de sa fille morte noyée.

Léopoldine est morte noyée, à 19 ans, avec son mari, en Normandie, à Villequier, sur un canot à voiles, avec lequel ils voulurent passer d’une rive de la Seine à l’autre. Victor Hugo apprendra la mort de sa fille, quatre jours plus tard, par hasard, en lisant le journal, sur le chemin du retour d’un voyage en Espagne. C’était en 1843.

Lorsque je vois les mots du poète, j’entends la voix de Maman me les dire. C’est magique comme les disparus nous habitent lorsqu’ils ne sont plus là.

Relisez ces vers si touchants de Victor Hugo qui exprime en mots simples son infini chagrin.

Peut-être entendrez-vous aussi, au fond de vous, une voix qui murmure que, même seul, vous restez multiple.


Demain, dès l’aube…

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Ce poème figure dans le recueil Les Contemplations.
Ecoutez-le dans la voix de Denis Podalydès de la Comédie Française dans cette émission de France Culture.

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