Jean-Pierre Haeberlin, parti en juin 2014

Quel joli souvenir que cette photo que j’ai prise de Jean-Pierre Haeberlin tenant lui aussi son appareil photo dans la main, le 17 juin 2002.

Nous étions à Winkel, dans ce petit village sundgauvien de 138 habitants, situé à 187 mètres d’ altitude, qui tend la main à la Suisse.

17 juin 2002, Jean-Pierre à Winkel où l’Ill prend sa source © Simone Morgenthaler

Non loin de là l’Ill prend sa source, mince filet à peine détectable, qui passe ensuite souterrainement sous cette prairie aux herbes hautes.

C’est ici qu’elle passe, me dit joyeusement Jean-Pierre, en me la montrant du doigt.

C’est si discret une source d’où nait une rivière ensuite majestueuse qui fend l’Alsace pour se jeter dans le Rhin.

Nous avons passé une partie de l’été 2002 à sillonner les endroits les plus beaux le long de l’Ill.

Jean-Pierre Haeberlin m’avait aussi ouvert son album de photos auxquelles il tenait.

Il aimait par-dessus tout cette photo de sa maman le tenant dans ses bras.

Il m’avait permis de la faire paraître en septembre 2002 dans le livre Le long de l’Ill (La Nuée Bleue).

Sa maman a 30 ans sur la photo. Elle le porte dans ses bras quelques mois après sa naissance en 1925.

Elle se tient au bord de l’Ill, là, sur les berges qui ont tiré le trait de son horizon quotidien pendant 89 ans.

Jean-Pierre bébé dans les bras de sa maman Marthe dans le jardin de l’Auberge de l’Ill © Archives Haeberlin

Bien évidemment, Jean-Pierre ne se souvenait plus de l’instant où fut prise la photo : il n’est pas possible de remonter si loin dans sa petite enfance. Mais il aimait cette photo car elle contenait l’amour de sa mère, Marthe Oberlin, née en 1895, douce et aimante. Et l’Ill y est présente pareille à elle-même.

Aujourd’hui la végétation reste foisonnante autour de l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern, le jardin est plus dompté, tout en gardant un naturel et une touche sauvage que lui incurvait Jean-Pierre avec son regard d’artiste, puis Danielle sa nièce avec Marc son filleul et leur équipe.

Entre la photo et le présent, il y a ce flot d’années qui ont coulé. Jean-Pierre disait : La photo pourrait être d’hier tant elle contient une justesse d’atmosphère et de sentiment.

Sa mère n‘est plus depuis 1989. Paul, son frère, s’en est allé en 1998. Lui, le 4 juin 2014. Marie Haeberlin, sa belle soeur, Maman de Danielle et Marc, le 28 août 2018.

Je regarde ce soir cette photo, je regarde les aquarelles de Jean-Pierre que contient le livre.
Je pense à ces carnets de voyage singuliers vécus avec lui pour faire éclore ce livre.
Je pense à ce lundi d’été où, de retour à l’Auberge, son frère Paul nous avait préparé une soupe de tapioca riche en crème que nous avons savourée dans la petite pièce intime que les Haeberlin nomme ‘s Zimmerle (la petite pièce).

Jean-Pierre était joyeux, heureux de sa liberté retrouvée après avoir passé par la maladie.

C’était durant l’été 2002.

Il est mort le 4 juin 2014

J’y repense aujourd’hui cinq ans plus tard.

On ne devrait pas avoir à quitter ceux qu’on aime.

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